Vingt ans, et déjà le sort d’un pays entre ses pieds, qu’il décide de qualifier pour l’Euro au dernier moment. Une prestance digne des plus grands, des convictions déjà fortes et un leadership assumé en Autriche : Dominik Szoboszlai est le nouveau souverain d’un football hongrois qui n’en avait plus depuis bien longtemps. Et son nouvel Empire n’en est qu’à ses premières heures.
Château Blanc et Phénix d’Or
La noblesse est quelque chose qui doit se distinguer au premier coup d’oeil. Port altier, regard au loin, l’impression que le temps s’arrête tout autour de lui et que les chicanes provoquées par les adversaires ne le perturbent pas le moins du monde, à la faveur d’une technique balle au pied d’un raffinement rare. On en attend pas moins de celui sur qui reposeront bientôt tous les espoirs du peuple. Et quoi de plus normal pour celui-ci que de voir le jour à Székesfehérvár, littéralement : « Le Château Blanc du Siège Royal », nom hérité de l’époque où la cité était le cœur du royaume de Hongrie. Tout ceci a néanmoins un prix. Une éducation stricte, sans doute trop pour un petit garçon qui joue au foot. Comprenez des heures d’entraînements qu’il est inutile d’essayer de compter, sous la houlette de son père.
Zsolt, de son prénom, a été footballeur professionnel. De sa courte carrière, il garde l’amer souvenir des blessures et d’un système de formation aussi laissé à l’abandon que les jeunes talents de Hongrie. En 2007, il lance donc avec une poignée d’amis son propre club formateur : Le Főnix Gold FC. Une entreprise en forme d’insulte pour la fédération hongroise qui n’accordera pas au club son affiliation. Pas de compétitions officielles, un seul petit terrain synthétique indoor à disposition, ce qui ne permet même pas d’accueillir les garçons au-delà de leurs 13 ans. Voisin et pourtant bien loin du grand club du Videoton avec lequel il aura touché ses premiers ballons, Szoboszlai fait donc ses classes dans une équipe qui ne découvre le gazon qu’à travers des matchs amicaux et des tournois de plus ou moins grande envergure, nationale ou internationale. Il en va de même pour le parquet, des tournois de futsal étant régulièrement au programme dans le calendrier des jeunes Phénix d’Or.
En parallèle, Szoboszlai senior ne lâche pas Dominik. Qui est promis à la grandeur doit en faire bien plus que le commun des mortels, sur le terrain où un bon match n’est jamais assez bon, où la fin de l’entraînement n’en est jamais la fin, et en dehors du terrain où chaque détail compte. Une formation complètement atypique qui lui vaut un développement de qualités hors-norme d’un point de vue technique mais aussi et surtout d’un point de vue mental. Oui, le tableau du père mêlant son rôle à celui du formateur en y injectant une bonne dose d’ambition personnelle de recoller les morceaux de son rêve brisé est la hantise de bien des éducateurs. Mais c’est aussi ce qui va conditionner Dominik pour ce qui l’attend par la suite. Oublier la peur de rater, travailler toujours plus, rester fort dans la tête malgré les difficultés, n’avoir peur de personne.
A la mémoire de François-Joseph Ier
Après une découverte des grands terrains avec le MTK Budapest, expérience aussi instructive que compliquée avec ses entraîneurs, Dominik fête bientôt ses 16 ans et la possibilité de rallier l’étranger. C’est Mátyás Esterházy, agent attitré des jeunes talents du Főnix Gold FC dépêché par Zsolt qui va lui ouvrir les portes du Red Bull Salzbourg peu après. C’est le début du voyage, mais aussi des difficultés auquel son père l’aura préparé. De grand talent reconnu issu de sa petite promotion des Phénix dont chaque joueur deviendra pro, il devient un joueur parmi d’autres, un étranger ne parlant pas un mot d’allemand et pas beaucoup plus d’anglais parmi l’élite des jeunes talents autrichiens se battant pour une place chez les grands. Malgré la dureté de ses rapports avec les autres et l’exigence des coachs, Szoboszlai fait son trou à force de travail et obtient sa place avec le FC Liefering, l’autre club Red Bull local servant d’équipe réserve en D2, dès sa deuxième saison. Un exercice plutôt satisfaisant qui doit logiquement lui ouvrir les portes de l’équipe première pour 2018-2019.
Le voilà arrivé. C’est la pensée par laquelle il se laisse alors porter pendant plusieurs mois. Marco Rose, alors en poste à Salzbourg, attend cependant plus de lui, sur beaucoup de plans. Chose que Szoboszlai n’assimile ou n’accepte pas. Cantonné à la réserve quand ce n’est pas à l’infirmerie à cause d’une blessure à la cheville jusqu’à fin 2018. Frustré, c’est au moment où son avion allait s’envoler pour d’autres cieux que lui redescend enfin sur terre. Il s’en va trouver Marco Rose chez lui avec un serment : ne jamais rien lâcher, tout faire pour avoir sa place dans l’équipe. Dominik retrouve donc ses habitudes de travailleur forcené. A la technique et à sa vision de jeu habituelle s’ajoute peu à peu une véritable intelligence tactique qui lui permet de faire parler son amitié avec le ballon presque n’importe où sur le terrain selon les besoins. De préférence milieu offensif libre de partir du côté gauche, il peut aussi bien jouer dans l’axe, avec un attaquant devant lui ou non, ou même parmi les milieux de terrain sans perdre en efficacité.
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Terminant l’exercice comme titulaire, il est donc de la partie pour la fameuse campagne de Ligue des Champions 2019-20, forcément un peu dans l’ombre d’un gigantesque Haaland. A l’image du Norvégien, les compteurs du Hongrois s’emballent. 40 matchs, 30 titularisations toutes compétitions confondues, pour 12 buts et 18 passes décisives. Fait incroyable cependant, 8 de ces buts ainsi que 11 de ces assists ont été réalisés après la période d’arrêt des compétitions imposée par le COVID. Et là encore, c’est le travail individuel qui a fait la différence. Cette fois, c’est physiquement que Szoboszlai se métamorphose. Il s’étoffe enfin un peu, de quoi lui permettre de jouer son jeu sans craindre les coups qu’il a appris à encaisser depuis tout petit, mais sans non plus perdre son agilité ou sa silhouette longiligne. Surtout, il est prêt à enchaîner les matchs tambour battant là où tout le monde souffre du changement de rythme. Il passe ainsi son été 2020 à martyriser un championnat autrichien déjà beaucoup trop petit pour lui. Toute la palette de passes, de dribbles et de frappes y passe. De coups-francs aussi, son pêché-mignon.
Le jeune Roi menacé par le blues Red Bull
Bien évidemment, la saison actuelle arrivant juste derrière quasiment sans interruption, la dynamique reste la même : 13 titularisations, 5 buts, 9 passes décisives entre championnat, coupe et Ligue des Champions. En prenant soin de s’offrir des réalisations décisives à l’aller et au retour du barrage contre le Maccabi Tel-Aviv (2-1 ; 3-1), puis en poules contre le Lokomotiv (2-2). Son but contre l’Atletico restera lui malheureusement insuffisant pour sauver le RBS face au show João Félix (2-3). Réussir à inscrire son nom lors du match retour contre le Bayern Munich sonnerait en revanche comme un écho à la campagne d’Haaland il y a un an. Avant un transfert hivernal pour lui aussi ?
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Comme pour son ex-coéquipier, toute l’Europe ou peu s’en faut est sur les rangs. Malgré la crise économique, sa clause libératoire de « seulement » 25M€ payable en deux fois a de quoi rendre fous bien des clubs. Au premier rang, le Red Bull Leipzig, qui aimerait éviter de laisser un autre talent de la filière partir chez un concurrent. Un club de haut niveau mais pouvant toujours servir de tremplin vers les très hautes sphères, pratiquant un football presque institutionnel pour Red Bull et dans un championnat où Szoboszlai ne serait pas dépaysé, un choix logique… ou un choix discutable de par les difficultés pour Leipzig de faire de ses talents offensifs de très grands joueurs.
Pourtant, pratiquer un foot spectaculaire valorisant les prospects du secteur offensif devait être la base du projet Red Bull. Mais à Leipzig, aucun milieu offensif ou attaquant n’est parti pour un géant européen. C’est un Werner ayant encore des points à améliorer qui est finalement parti rejoindre un Chelsea en pleine restructuration, tandis que des ex-prospects comme Forsberg stagnent et peinent à franchir un nouveau cap. Pas étonnant que les joueurs qui se distinguent le plus en ce moment à Leipzig soient des défenseurs, comme Upamecano ou Mukiele. Plus le club s’approche des sommets, plus on remarque le manque de personnalité des joueurs biberonnés au Red Bull, surtout ces derniers mois. La défaite à Paris (1-0) ce 24 novembre est une illustration criante de ce qu’il manque à ce club, finalement comme le laissait supposer le projet initial. Une identité, malgré tous les efforts d’institutionnalisation de la filière, de l’expérience, de la personnalité.
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Pas vraiment de quoi permettre Szoboszlai de s’épanouir pleinement, à moins de réussir le tour de force d’imposer sa propre personnalité à l’équipe, au sein d’un effectif composé de nombreux profils similaires à son poste. Peut-être n’a-t-il pas encore les épaules pour viser plus haut pour le moment direz-vous. Au moins, le professionnalisme et la capacité d’adaptation dont il a fait preuve jusque là parlent pour lui. Sa personnalité comme son jeu indiquent qu’il lui serait tout à fait possible de jouer dans n’importe quel championnat, pour peu que son club partage sa vision du football tournée vers l’avant. Il n’est pas non plus exclu que Szoboszlai termine un dernier exercice autrichien pour préparer tranquillement son Euro. Un Euro dont il est déjà le héros en Hongrie.
Dominik Szoboszlai vs Iceland | 12/11/2020 | Highlights & Goal pic.twitter.com/zATdc9agRS
— Phantom (@phvntxm02) November 17, 2020
Un héros de 20 piges, numéro 10 sur le dos, traversant la moitié du terrain en prolongation d’un match de barrages pour inscrire le but décisif… qui envoie les hongrois dans une poule historiquement folle avec la France, le Portugal et l’Allemagne. Ne reste plus qu’à tout tenter et étaler sa classe devant ces adversaires de premier plan. Une classe que n’a pas connu la Hongrie depuis « l’Empereur » Flórián Albert, joueur le plus élégant de son époque et Ballon d’Or 1967. Privée de tournois internationaux de 1986 à 2016, la Hongrie se cherche sa nouvelle légende. Car hormis l’affreux jogging gris de Gábor Király, le foot hongrois aura eu bien peu à offrir durant ce début de siècle. Promis, il y aura bien plus beau à voir à l’été 2021 sous le maillot des Magyars.