[Tactique] L’abus de centres est dangereux pour la santé

Qu’est-ce que les centres ? Il s’agit d’une arme offensive utilisée pour mettre un attaquant face au but. Mais le souci est que, trop souvent, cette arme offensive devient la seule et l’unique. Alors oui, mettre le ballon sur un côté et le balancer devant le but dans l’espoir qu’un joueur la mette au fond c’est simple. Mais est-ce réellement efficace ?

«Je pense que c’est la première fois en Premier League que nous avons 33 centres. Je suis sûr que si nous faisons cela de manière plus cohérente, nous allons marquer plus de buts. […] Ce sont des maths, des maths pures et ça va arriver.» Cette déclaration est signée Mikel Arteta, coach d’Arsenal, après la défaite contre Wolverhampton (1-2), le 29 novembre dernier.

Le souci c’est que sur les fameux 33 centres, 3 seulement sont arrivés sur un joueur d’Arsenal. Alors même en n’étant pas un génie en mathématiques comme Monsieur Arteta, tout le monde sera d’accord pour dire que 3/33 c’est pas dingue.

Alors on va essayer de comprendre quand et pourquoi centrer, car entre balancer des ballons dans la surface, en espérant que les mathématiques fassent la différence, et mettre les attaquants et les centreurs, dans les meilleures conditions, il y a une différence.

Pour qu’un centre soit une option valable il faut respecter plusieurs critères  :
– Attaquer les zones de finalisation
– Avoir un avantage (ou une égalité) numérique
– (et/ou) Avoir un avantage spatial

  • Attaquer les zones de finalisation

Règle assez simple à comprendre. Il faut être agressif dans la surface, attaquer la zone où le ballon va atterrir. Les défenseurs sont généralement dans le contrôle et pas en pleine vitesse, alors arriver lancé peut permettre de prendre les quelques centimètres pour passer devant. Être dans une posture d’attente permet au défenseur de mieux contrôler le mouvement. C’est pour cela qu’il est essentiel d’avoir un timing et une entente parfaite entre le centreur et le receveur.

  • Avoir un avantage numérique

Oui, pour mettre les joueurs offensifs dans les meilleures conditions, pour avoir le plus de probabilité d’être dangereux, il faut avoir un avantage (ou une égalité) numérique. Combien de fois voyons-nous des centres pour un attaquant devant se débattre avec 3-4 défenseurs ? Quelle est la probabilité qu’il réussisse à toucher le ballon, et s’il arrive à le toucher, qu’il réussisse à transformer cela en action dangereuse ?

  • (Et/ou) avoir un avantage spatial

Le centre doit être vu comme une passe normale. Si un joueur est seul dans une zone, il peut être en condition de recevoir un ballon. Par contre, s’il n’a pas cet avantage spatial qui lui permet de recevoir/décider et de donner une bonne suite à la passe, il ne faut pas lui donner le ballon. Dans les centres ce sont les mêmes règles qui s’appliquent.

On va passer aux explications en image.

Tout d’abord, voyons les zones où le centreur peut mettre le ballon.

Le premier poteau n’est pas une zone avantageuse. Techniquement le ballon au premier poteau est très difficile à remettre (difficile ne veut pas dire impossible).

Mais quand on reçoit un ballon au premier poteau l’option tire est la (quasi) seule. Alors oui on peut marquer, mais on peut aussi traverser l’autoroute et s’en sortir indemne.

Le centre axial permet d’attaquer la zone entre les deux centraux, et donne aussi une possibilité à l’attaquant de choisir au mieux sa zone de finalisation.

Le centre au 2e poteau permet plusieurs choses : finalisation, remise, être en avantage en arrivant lancé face au défenseur adverse.

En retrait, permet de recevoir dans une zone souvent libre. Les défenseurs reculent vers le but, accompagnent le mouvement du centreur et/ou de l’attaquant et un joueur peut recevoir le ballon dans la zone libre, entre milieu et défense.

Ici la supériorité numérique permet de trouver un joueur au 2e poteau qui aura donc la possibilité de tenter la finalisation ou une remise vers ses partenaires. On retrouve donc la supériorité spatiale et numérique.

Comment centrer ?

Il y a quelques semaines, le coach du Shakhtar, Luis Castro, donnait une interview à la télé portugaise où justement, il revenait sur «l’abus de centres» qu’on peut voir chez certaines équipes aujourd’hui. Il expliquait que tout cela naissait à la formation des joueurs. Quand on est en équipe de jeunes, on joue souvent contre des équipes qui ne savent pas encore bien s’organiser défensivement et on a souvent un attaquant qui physiquement fait la différence dans la surface. Les deux associés permettent de marquer, ou de créer des situations (seconds ou troisièmes ballons) qui mènent au but. Donc beaucoup de ces joueurs gardent ce réflexe, et mettent le ballon dans la surface «dans l’espoir de…». On se retrouve donc avec des situations où les centreurs ne lèvent pas la tête pour analyser la bonne solution de centre et des attaquants qui ne savent pas analyser la situation pour attaquer la bonne zone.

Exemple :

Supériorité numérique au second poteau, mais le centreur va chercher un centre
au sol qui devra passer par 4 adversaires… compliqué.

Infériorité numérique, une possible supériorité au second poteau,
mais personne n’attaque cette zone.

Supériorité spatiale, l’attaquant aurait pu attaquer (suivre la flèche) la zone pour recevoir le ballon et surprendre l’adversaire, mais il reste caché derrière lui. Son mouvement aurait pu le permettre de recevoir, où de créer des espaces pour d’autres joueurs.

Centre au sol, pas d’avantage, ni spatial ni numérique.
Ballon facilement contrôlable par la défense.

Pas d’avantage spatial ou numérique…
Facilement contrôlable par la défense.

Centrer n’est pas une mauvaise chose, mais comme tout dans le football, ce mouvement doit être travaillé pour mettre le partenaire dans les meilleures conditions.

Alors voici quelques exemples de centres avec une préparation collective.

Un attaquant qui attaque la profondeur pour forcer la ligne défensive à reculer, un joueur qui repique dans l’axe pour prendre cet espace et un centreur qui réfléchit avant de centrer.
Voilà un bon exemple d’un centre intelligent.

On attaque le second poteau, ça nous permet de voir la position des défenseurs et d’avoir plus d’angle pour tirer au but.

Un attaquant qui attaque l’axe, des joueurs en retrait et un joueur, seul, au second poteau. Placement très intéressant, on peut centrer.

Un attaquant qui attaque vers le premier poteau pour amener un défenseur avec lui, et permettre à son coéquipier d’avoir l’avantage spatial et numérique au second poteau.
Et un joueur en retrait, toujours.

Des joueurs dans l’axe qui «tiennent» les défenseurs et créent de l’espace pour qu’au 2e poteau l’attaquant ait l’avantage spatial et numérique.

Les centres sont de base une situation de jeu extrêmement complexe, et avec un taux de réussite très faible.

Alors si en plus ce moment n’est pas travaillé et réfléchi en amont à l’entrainement, cela devient bien plus compliqué.

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Donc la prochaine fois que vous entendez un entraineur dire «on a fait un bon match, on a fait 30, 40, 100 centres», dites-vous bien que les mathématiques n’ont jamais marqué de buts. Sauf si vous avez un attaquant qui s’appelle Einstein, Pythagore ou Thalès, évidemment.

Crédit photo : Icon Sport

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