Si le titre est volontairement provocateur, la question mérite d’être posée. Cinquième de Ligue 1 à la trêve, alors qu’il n’avait plus d’entraîneur à trois jours du coup d’envoi du championnat, le FC Nantes est une sorte de miraculé. Les Canaris, qui n’ont volé aucun de leurs 29 points, ont dû tout recommencer à zéro, pour la sixième fois en trois ans. Et, sans être flamboyants, ils ont su se montrer réguliers. Depuis le début du mois de septembre, seules quatre formations n’ont pas quitté le top 10 : le PSG, solide leader, Marseille (deuxième), Lille (quatrième) et, donc, Nantes.
Après René Girard, Sergio Conceiçao, Claudio Ranieri, Miguel Cardoso et Vahid Halilhodzic, c’est Christian Gourcuff qui s’est installé sur le banc nantais. Une histoire d’amour presque inévitable au vu de l’admiration portée par le technicien breton à certains de ses prédécesseurs (Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix, par exemple). Arrivé dans un climat tendu, après un été mouvementé en interne entre la direction du club et Vahid Halilhodzic, le natif d’Hanvec n’a pas tardé à imposer sa patte sur le terrain en changeant de système.
Les joueurs
Son immuable 4-4-2, absent des pelouses françaises depuis son départ de Rennes en 2017, a été contraint de subir de légères retouches, en raison des gros manques, à certains postes, dans l’effectif nantais. Avec la présence d’un seul véritable avant-centre de métier (Kalifa Coulibaly), Gourcuff a fait le choix d’aligner un milieu de terrain dans un rôle de second attaquant. Il a également dû composer avec l’absence de joueurs de couloir au moment de son arrivée. La grave blessure de Marcus Coco, dès la première journée, l’a poussé à réfléchir à une nouvelle solution. Comme il l’avait fait, avec brio, à Lorient, avec Yann Jouffre ou Morgan Amalfitano, il a commencé en alignant un milieu axial dans le couloir droit : Imran Louza. Pas toujours très à l’aise, le pur produit du centre de formation FC Nantes a toutefois profité de l’aubaine pour accumuler du temps de jeu en Ligue 1. On reviendra sur son cas plus en profondeur.
Enfin, l’entraîneur nantais a été plutôt inspiré en déplaçant Andrei Girotto en défense centrale. Le Brésilien fait partie des satisfactions de cette phase aller. Lent et en retard quand il évoluait au milieu de terrain, il est métamorphosé. Sa lecture du jeu et la qualité de sa première relance sont des atouts très importants dans le système de Christian Gourcuff, qui souhaite avoir une maîtrise sur le jeu.
Vous l’aurez compris, l’homme fort des Canaris a dû faire, bon gré mal gré, avec ce qu’il avait sous la main. Si les renforts tardifs de Ludovic Blas et de Moses Simon ont permis à l’effectif nantais de gagner en profondeur et, surtout, en qualité technique, il n’en demeure pas moins insuffisant quantitativement et qualitativement. C’est pourquoi Gourcuff a fait confiance à un noyau dur composé de 13 joueurs seulement, amputé d’un élément après la blessure de Fabio. Les autres ont dû se contenter des miettes. Quand ils en avaient… Car un des épisodes qui a animé la fin de la phase aller des Jaunes, c’est cette ultime rencontre face à Angers au cours de laquelle le technicien nantais n’a pas procédé au moindre changement alors que son équipe n’était pas au mieux.
Le signe d’un manque de confiance vis-à-vis de son banc, au sein duquel un seul homme semblait avoir du crédit à ses yeux : Kader Bamba. L’ailier virevoltant, au parcours chaotique, était même devenu titulaire avant d’être stoppé net par une blessure musculaire. Seul joueur de champ à avoir disputé les 18 premières rencontres de championnat, il s’était imposé, malgré son irrégularité, comme un joueur important de l’attaque nantaise.
Tout comme lui, Imran Louza, annoncé dans les joueurs à suivre cette saison, s’est fait sa place dans le onze des Jaunes. Utilisé parfois à droite (lire plus haut), parfois en deuxième attaquant, il a beaucoup tâtonné. Parfois perdu, il a connu un début de saison mi-figue, mi-raisin, sanctionné par un retour sur le banc pendant trois matchs (de la 7e à la 9e journée). S’en est suivie une suspension de deux matchs, pour un incident extérieur au FCN, qui aurait pu lui mettre la tête sous l’eau à une période où il n’était plus titulaire. De retour en Coupe de la Ligue face au Paris FC, il est aligné pour la première fois à son véritable poste (milieu central). Résultat, il se régale avec un but, deux passes décisives et une belle influence sur le jeu. Un véritable déclic pour qui a débuté toutes les rencontres de championnat jusqu’à la trêve.
Le jeu
Passer de Vahid Halilhodzic à Christian Gourcuff, en termes de jeu, équivaut à arracher la page que vous venez d’écrire, la jeter à la poubelle et, mission la plus difficile, oublier ce que vous venez d’apprendre. Car les deux techniciens prônent deux footballs diamétralement opposés. Au revoir le 4-3-3 de Coach Vahid et ses transitions rapides, qui avaient permis aux Nantais de battre Lyon et Paris au printemps dernier. Bonjour le 4-4-2 (ou 4-4-1-1 pour être précis) de Gourcuff, sa maîtrise du ballon et ses préparations (plus ou moins) longues.
On a parfois tendance à réduire « beau jeu » à « jeu offensif », « spectacle » et « avalanche de buts ». Ce n’est pas le cas de Nantes. Les nostalgiques du tarif maison des 90’s ont des raisons d’être ronchons. Le 3-0 a laissé la place au 1-0, une formule déjà apparue sous les ordres de Claudio Ranieri, il y a deux saisons. Même si ce FC Nantes version 2019-2020 n’est pas spécialement beau, il essaye de l’être. La beauté du jeu, selon l’esthète Gourcuff, c’est d’avoir l’emprise, la maîtrise et de bien préparer ses actions. Force est de constater que cela se ressent sur les buts inscrits par les Canaris. Hors coups de pied arrêtés et csc, 8 des 12 réalisations nantaises sous Gourcuff l’ont été après des actions de cinq passes. Dans une Ligue 1 où le jeu de transition est de plus en plus important, cela suffit à prouver la volonté de production présente chez les Jaunes. Il n’est pas rare de voir des actions être initiées à droite pour finir à gauche, et inversement. Des schémas que l’on ne voyait pas la saison passée.
Mais au-delà de ces intentions louables, deux chiffres interpellent. Le premier, c’est le nombre de buts marqués : 17. Pour une formation classée cinquième, ce n’est banal. S’il est possible de voir le verre à moitié plein en se disant que chaque but rapporte 1,70 point en moyenne, la réalité est légèrement différente. Ce total, le deuxième meilleur de Ligue 1 derrière Reims et ses 1,75 points/but marqué, pourrait laisser penser que Nantes est une équipe efficace. Mais il n’en est rien. 16e attaque du championnat, Nantes est la sixième équipe qui tire le plus. Pire, son ratio de buts/tirs est un des plus mauvais de l’Hexagone. Les Canaris marquent tous les 14,29 tirs. Seuls les mal classés Dijon (16,85) et Nîmes (17,76) font pire. A titre de comparaison, Montpellier (9,3), Bordeaux (7,5) ou encore Nice (8,17), qui devraient se retrouver autour du FCN en fin de saison, sont beaucoup plus réalistes.
C’est un fait. Nantes a un problème d’efficacité. Et un joueur l’illustre parfaitement : Kalifa Coulibaly. C’est le deuxième chiffre qui interpelle. Les Jaunes ont marqué 8 buts sur des actions « construites ». Combien ont été l’oeuvre de l’attaquant malien ? Zéro. Auteur de quatre buts depuis le début de saison, il en a inscrit un sur coup de pied arrêté, un sur une récupération haute et les deux autres sont des buts gags (Strasbourg et Brest). Il partage la première place du classement des buteurs nantais avec Ludovic Blas mais la différence entre les deux est terrible. Les quatre réalisations de l’ancien Guingampais ont été consécutives à des actions construites, à l’issue desquelles il s’est retrouvé à la conclusion.
Comment expliquer cela ? La première réponse, c’est le profil de Kalifa Coulibaly. L’avant-centre nantais, malgré son gabarit imposant n’est pas très à l’aise dans les petits espaces. Il ne participe donc pas énormément au jeu. Troisième joueur de champ le plus utilisé (nombre de minutes passées sur le terrain) cette saison, il n’est que douzième en nombre de ballons joués. Les autres offensifs, Kader Bamba, Moses Simon, Ludovic Blas ou encore Imran Louza, ont un profil beaucoup plus fin, qui leur permet d’être à l’aise dans le jeu en mouvement. Lors de l’exercice précédent, Coulibaly avait brillé, à partir de la phase retour, car ses caractéristiques collaient parfaitement au jeu mis en place par Vahid Halilhodzic. Une recherche de la profondeur sitôt le ballon récupéré avec des longues passes à destination du Malien ou de Majeed Waris. Le jeu plus élaboré que tente d’installer Christian Gourcuff, qui a récemment prolongé son contrat jusqu’en 2021, ne lui convient et tout laisse à penser que la réciproque est vraie. Jamais le technicien breton n’avait composé avec un avant-centre aussi pataud mais il continue à l’utiliser, faute de mieux. Nul doute que l’un de ses principaux objectifs lors du mercato hivernal sera de trouver un profil plus adéquat au jeu qu’il souhaite développer.
Les chiffres
5
Comme le nombre de buteurs différents, hors csc, du FC Nantes depuis le début de la saison (Coulibaly, Blas, Simon, Louza, Touré). C’est l’équipe de Ligue 1 qui compte le moins de buteurs. Une nouvelle preuve du manque de variété et de qualité chez les Canaris offensivement. A titre de comparaison, six joueurs ont déjà marqué pour Metz, pourtant hyper dépendant d’Habib Diallo (10 buts/17), et six défenseurs de Nice comptent au moins un but cette saison.
6
Comme le nombre de buts sur lesquels Moses Simon est directement impliqué (deux buts, quatre passes décisives). Le Nigérian est le joueur le plus décisif du FC Nantes devant Ludovic Blas (quatre buts, une passe décisive).
100%
Comme le pourcentage de victoires nantaises obtenues par un but d’écart. Sept fois 1-0, deux fois 2-1.
0
Comme le nombre de matchs de championnat au cours desquels le FC Nantes a inscrit plus de deux buts. Trois équipes sont dans ce cas en Ligue 1 : Toulouse (20e), Dijon (16e) et le FC Nantes.
L’avenir
La projection est toujours difficile, d’autant plus dans une Ligue 1 illisible avec un grand nombre d’équipes qui alterne le bon et le très mauvais. Pour autant, Nantes devra s’inspirer de ce qui n’avait pas fonctionné sous Ranieri pour éviter de reproduire les mêmes erreurs. Potentiellement qualifié en Europa League à la trêve (si une des quatre équipes classées devant lui remporte une Coupe nationale), le FC Nantes aura intérêt à se renforcer. Il y a deux ans, l’entraîneur italien avait tiré la quintessence d’un groupe limité qualitativement et quantitativement. L’euphorie avait duré six mois avant que la réalité de la Ligue 1 ne vienne briser les espoirs européens des Canaris. Il est fort probable que Christian Gourcuff vive la même chose si l’effectif n’est pas étoffé au mercato hivernal.
Comme expliqué plus haut, le FCN a un besoin presque vital d’un attaquant. Un joueur mobile, qui sera capable de participer au jeu tout en étant à la conclusion des actions. Dans les couloirs, l’indéboulonnable Moses Simon est une grosse satisfaction à gauche, Kader Bamba et Ludovic Blas partagent le temps de jeu à droite mais Gourcuff pourrait avoir besoin d’apporter de la nouveauté. Ce qui permettrait à l’ancien Guingampais de retrouver le cœur du jeu, un endroit où il semble se sentir de mieux en mieux.
L’arrivée de Dimitri Foulquier, annoncée par la presse locale, pourrait également permettre d’apporter de la profondeur à un poste en grande souffrance. Avec seulement deux latéraux de métier opérationnels, Nantes n’est pas suffisamment armé pour lutter pour le top 5. D’ailleurs, est-ce l’objectif réel de la Maison Jaune ? Personne ne s’est vraiment exprimé là-dessus.
Personnellement, j’aurais tendance à penser que le FC Nantes, malgré quelques joueurs talentueux, ne restera pas dans le haut du classement. Connaissant la difficulté à faire des bons coups lors du mercato hivernal, je doute de la capacité nantaise à réellement se renforcer. L’effectif est trop léger pour espérer rivaliser avec des formations comme Monaco, Marseille, Lyon, Rennes, Lille etc. sur la durée. Les gros devraient finir par se réveiller et les Canaris devraient se battre pour une place dans le ventre mou, entre la huitième et la douzième place.
Le bulletin de notes
Bien : Andrei Girotto, Nicolas Pallois, Moses Simon, Imran Louza
Correct : Ludovic Blas, Kader Bamba
Insuffisant : Dennis Appiah, Alban Lafont, Kalifa Coulibaly, Abdoulaye Touré, Charles Traoré, Mehdi Abeid, Samuel Moutoussamy, Cristian Benavente
Non notés (moins de 10 matchs) : Molla Wagué, Thomas Basila, Elie Youan, Fabio, Roli Pereira, Rene Krhin, Marcus Coco