C’est déjà le cadre d’une équipe excitante en Ligue 1. A seulement 21 ans, Ibrahima Diallo s’est imposé dans l’entrejeu du Stade Brestois. Le promu a bouclé la saison à une rassurante 14e place. Et a surtout enthousiasmé l’Hexagone pour son style de jeu flamboyant. Ce style, Diallo en est fier. Le milieu défensif nous a accordé une petite heure pour évoquer sa vision du foot, sa formation à Monaco, son frère au PSG et son coach Olivier Dall’Oglio, « un homme qui aime le jeu ».
Ultimo Diez – Ibrahima, on espère d’abord que tout va bien pour toi et tes proches dans cette crise sanitaire. Comment vis-tu cette période compliquée ?
Ibrahima Diallo – Ça va plutôt bien pour moi et mes proches, merci. Aucun de nous n’a été touché par la maladie pour l’instant. On essaye de respecter les règles, de s’adapter comme tout le monde et d’être patients. Pour l’instant, tout va bien.
En tant que footballeur professionnel, cela doit être la première fois que tu as une période d’inactivité aussi longue. Comment gardes-tu le rythme ?
En tant que sportif, c’est un peu compliqué de ne pas pouvoir faire du sport dehors, dans des endroits où il y a plus d’espace. J’essaye de m’adapter chez moi, en faisant des exercices de fréquence dans des petits espaces. Je ne vais pas le cacher : j’espère qu’on pourra bientôt se rendre dans des endroits plus adaptés à notre besoin de sportifs de haut niveau.
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Tu n’as pas peur des conséquences physiques que ça peut engendrer ?
Non car, comme je te l’ai dit, on peut s’adapter et on n’est pas totalement à l’arrêt. C’est plus compliqué mentalement. Avant que la décision d’arrêter définitivement le championnat soit prise, on ne savait pas si ce qu’on faisait servait réellement. On ne savait pas combien de temps on allait devoir le faire. On ne savait pas s’il fallait mettre énormément d’intensité ou pas… C’est dur lorsqu’on n’a pas de repères, pas de deadline mais qu’on doit quand même s’organiser pour garder la forme. Maintenant qu’on est fixés, c’est plus simple mentalement. On sait qu’on a du temps avant la reprise.
« Le football, c’est beau avec des gens au stade »
Justement, que penses-tu de cette décision d’arrêter le championnat ?
Le foot c’est notre métier, c’est sûr que ça nous manque. On a l’impression qu’on ne fait plus rien et c’est lassant. Pour les spectateurs, je comprends aussi que certains veuillent que ça reprenne. Avec cette crise, on ne fait plus grand-chose et regarder du football aurait pu aider. Mais pour moi, on n’avait pas d’autres choix. On ne peut pas faire passer le football, qui ne reste qu’un sport, avant la santé. Et de toute façon, le football, c’est beau avec des gens au stade. Là, il n’y aurait pas eu de supporters. C’est une décision logique pour moi. Il va falloir attendre l’année prochaine.
Cette décision maintient officiellement le Stade Brestois en Ligue 1 (14e). Quel bilan tires-tu de cette saison sur le plan collectif ?
Je crois que l’objectif est plus qu’atteint. Nous sommes un club assez modeste, l’objectif était de se maintenir avant tout. Ce n’est pas pour autant qu’on n’avait pas d’ambitions. On savait qu’on avait des qualités et qu’on pouvait faire de belles choses dans la lancée de notre montée. D’autant qu’on n’était pas vraiment à la lutte pour le maintien, on avait des points d’avance (11pts sur Amiens premier relégué, ndlr). Je pense que c’est une très bonne performance.
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Individuellement, tu réalisais une première saison dans l’élite plutôt complète avec 19 matches dont 18 comme titulaire dans l’entrejeu. Es-tu satisfait de ta saison ?
Satisfait oui. Le seul petit bémol, c’est ma blessure à la fin qui m’a tenu éloigné des terrains un petit moment (6 matches ratés en janvier et février, ndlr). Je pense avoir montré de belles choses, mais je sais que je peux faire encore mieux. Je ne serai jamais totalement satisfait.
Quels sont tes axes d’amélioration et de progression ?
Mes qualités premières se situent plutôt au niveau de la récupération, dans l’intensité que je peux mettre sur chaque action. J’ai beaucoup progressé dans la première sortie du ballon et je pense que je peux encore progresser. Je peux et je dois encore plus apporter offensivement à mon équipe. Ça me ferait passer encore un cap. Essayer d’être présent, marquer des buts et ne pas me restreindre aux taches défensives… Je sais que j’en suis capable.
«Contre le PSG, Dall’Oglio nous a dit de continuer à jouer au ballon, de sortir proprement»
Tu étais en Ligue 2 avec le Stade l’an dernier. Quelles sont les principales différences entre la L2 et la L1 ?
Ah, il y en a beaucoup ! (rires) Je pense que les principales différences, ce sont les détails qui peuvent coûter cher. Il y a des choses que tu peux faire en Ligue 2 qui n’auront pas forcément un gros impact sur le match, mais en Ligue 1, ça ne pardonne pas. Il faut tout le temps être concentré, sur chaque action, chaque passe. Le niveau est tel qu’une erreur se paie souvent cash.
Tu évolues sous les ordres d’Olivier Dall’Oglio, reconnu comme l’un des meilleurs coaches de notre championnat. Peux-tu nous en dire plus sur lui, ses méthodes et le style de jeu qu’il prône ?
Comme tout le monde le voit, son projet de jeu, c’est de jouer au ballon peu importe le moment et l’adversaire. Il aime ça. Je me rappelle contre le PSG (défaite 1-2, ndlr), il nous a dit de continuer à jouer au ballon, tenter de sortir proprement et montrer que l’on sait jouer. Son but est d’avoir un jeu basé sur la possession, bien utiliser le ballon et bien gérer les temps forts et temps faibles d’un match.
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Même contre Paris, Lyon ou Marseille, son discours ne change pas ?
Non ! Peu importe l’adversaire, les consignes restent les mêmes. De toute façon, c’est difficile de tout le temps s’adapter à l’adversaire. Et pour moi, ce n’est pas toujours une bonne idée. On savait qu’on ne partait pas favoris contre ces équipes. Il n’y avait rien à perdre. Jouer au ballon, c’est ce qu’on fait de mieux. Pourquoi changer ? Ce n’est pas en changeant notre façon de jouer qu’on va forcément gagner. Il nous disait de profiter au maximum et de ne pas avoir de regrets. Contre le PSG par exemple, je pense qu’on a fait un très bon match. Avec un peu de réussite, on aurait pu accrocher le point du nul.
Est-ce plus facile pour un joueur de ballon comme toi de mettre en avant tes qualités dans une équipe comme celle-ci ?
C’est ce que je recherche. Je déteste les styles de jeu où on se contente de dégager le ballon. Je pense que très peu de gens aiment ça… Notre style de jeu me plait et je pense que c’est l’un des seuls moyens de vraiment progresser, parce que c’est le plus dur à faire. C’est plus facile de ne rien proposer pendant 90 minutes. Mais attention ! Une équipe comme l’Atlético par exemple, elle sait subir, et c’est un football que je respecte. Mais pour moi, c’est plus dur d’essayer de produire du jeu et de varier pendant 90 minutes. C’est toi qui agis. Alors que quand tu subis, tu attends l’erreur de l’adversaire. Et si tu ne mets pas en place quelque chose de cohérent défensivement, tu souffres contre les meilleures équipes.
« Qui a dit que, parce que tu joues au ballon, tu ne vas pas prendre de points ? »
Est-ce que tu comprends les critiques sur le niveau de jeu de notre championnat et le spectacle proposé ?
Si ce sont des spectateurs, je comprends car moi, je trouve plus intéressant quand une équipe essaye de produire du jeu. Mais je ne vois pas l’utilité de critiquer. Si tu n’aimes pas une équipe qui ne joue pas au ballon, ne la regarde pas. Dans le football, chacun joue comme il le veut et je respecte les équipes qui préfèrent subir plutôt que jouer. Je peux comprendre que certains n’aiment pas et trouvent que le spectacle n’est pas au rendez-vous.
Penses-tu que c’est possible de pratiquer un jeu de qualité lorsqu’on est une équipe qui joue le maintien et a tout le temps besoin de points comme Brest ?
Qui a dit que, parce que tu joues au ballon, tu ne vas pas prendre de points ? Qui a inventé ça ? Les meilleures équipes du monde jouent au ballon ! Moi, ça m’a toujours énervé d’entendre : « Une équipe qui joue le maintien ne doit pas chercher à jouer car elle doit prendre des points. » Pour moi, ce n’est pas parce que tu vas rester derrière, subir et contrer que tu vas prendre des points. Certes, il y a des équipes qui tentent de jouer et qui ne prennent pas de points. Mais il n’y a pas de corrélation entre « ne pas jouer » et « prendre des points ». Tout dépend de la qualité de ce que tu mets en place, la qualité des joueurs, du coach… Ce n’est pas forcément un système ou une façon de jouer qui va te faire prendre des points.
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Comment gérer cette volonté dans les moments difficiles ?
Il faut qu’on soit tous dans la même dynamique. Si tout le monde reste dans l’idée de départ, ça se fait naturellement. Après, il ne faut pas non plus imaginer que c’est tout le temps le beau jeu. Parfois ça ne va pas, tu es dans un mauvais jour donc, oui, tu vas peut-être un peu plus dégager le ballon. C’est comme ça, c’est le football. Mais globalement, sur toute une saison, il faut garder la même envie du début à la fin et tenter de mettre en place ce que le coach veut.
As-tu une anecdote sur Olivier Dall’Oglio ? Des choses qu’il aime vous rabâcher au quotidien, à l’entrainement…
Il met beaucoup l’accent sur le fait que tout le monde doit rester concerné. La gestion du groupe, c’est peut-être la chose la plus difficile pour un coach. Tu as des joueurs qui peuvent se sentir lésés, qui n’ont pas beaucoup de temps de jeu… C’est toujours compliqué de gérer les égos et les émotions des gens. Il fait en sorte que le groupe soit soudé.
« Le match contre mon frère Abdou ? C’était le moment le plus attendu de l’année ! »
Comment se passe un entrainement avec Olivier Dall’Ogglio ?
Il aime nous faire travailler avec le ballon. Il arrête souvent les entrainements lorsque ça ne va pas et qu’on ne fait pas ce qu’il veut. Tu en as qui peuvent ne pas aimer cela. (rires) Il est interventionniste. Il nous replace, nous corrige. Mais ça dépend des jours et de la qualité de notre entrainement. Et c’est normal, car parfois on est bons et parfois on fait n’importe quoi. (rires)
Est-ce qu’il y a un coéquipier qui t’a impressionné à Brest ?
Il y en a plusieurs. Avec sa capacité à enchaîner les efforts pendant 90 minutes, Haris Belkebla est connu pour être un Kényan. Il y a des joueurs très techniques comme Ferris N’Goma, très « grailleur » ! Il y en a plein d’autres que je pourrais te citer.
Ton coéquipier Yoann Court figure sur le podium des meilleurs passeurs cette saison (7 passes décisives). C’est une preuve de la qualité de jeu de cette équipe et des joueurs qui la composent ?
Oui, c’est sûr ! On parlait de joueurs qui m’ont impressionné, et Yoann peut en faire partie. Il a une très grande qualité technique, une bonne vision de jeu et un excellent pied gauche.
Quel est le joueur de Ligue 1 adverse qui t’a le plus impressionné ?
C’est rare qu’il y ait un adversaire qui m’impressionne. Dans mon état d’esprit, on va dire que je n’aime pas trop mettre sur un piédestal d’autres joueurs. Donc pour m’échapper un peu, je vais dire mon frère Abdou ! (défenseur au Paris Saint-Germain, ndlr)
Parlons-en justement. C’était la première fois que tu jouais contre lui. Qu’est-ce que ça t’a fait ?
C’était le moment le plus attendu de l’année ! (rires) On ne savait pas à quoi s’attendre en vrai et ça procure plusieurs émotions à la fois. C’est drôle, bizarre parce que tu as vécu avec lui, dormi avec lui à la maison pendant des années… Et aujourd’hui, c’est ton adversaire devant de nombreux spectateurs. C’est un truc de fou ! C’était un beau moment, drôle et spécial.
« Monaco aurait peut-être dû me donner davantage ma chance »
Il t’a beaucoup conseillé dans les moments difficiles de ta jeune carrière (Ibrahima a 21 ans, Abdou 24 ans). Comment son expérience a pu t’aider ?
Au-delà des bons conseils, j’ai eu de la chance d’avoir un grand frère qui a eu un parcours exemplaire. J’avais déjà un exemple à suivre pour réussir. Après, c’est sûr qu’il a toujours été là pour me conseiller sur le plan sportif, dans la vie de tous les jours et sur la façon de gérer certaines choses. Ça a été quelqu’un de très important dans ma réussite.
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Comme Abdou, tu as eu du mal à obtenir la confiance de Leonardo Jardim à Monaco. Est-ce un gros regret de ne pas avoir réussi dans ton club formateur ?
Je ne sais pas si on peut appeler ça un regret. Comme Abdou, j’ai été formé à Monaco et j’y ai signé mon premier contrat pro, donc j’aurais aimé réussir là-bas. C’est normal. Maintenant, ce n’est pas un regret. il y a énormément de joueurs qui n’ont pas réussi dans leur club formateur mais qui ont fait de grandes carrières. J’ai tout fait pour essayer de m’y imposer, mais ça n’a pas fonctionné. J’ai pris une autre route, et pour l’instant je ne le regrette pas.
Pourquoi ça n’a pas fonctionné avec l’ASM ?
J’étais très jeune, je suis arrivé dans un groupe où il y avait déjà des joueurs très expérimentés. C’était compliqué de se plaindre. Et je ne m’attendais pas à être titulaire. Je voulais juste accrocher une place dans le groupe.
Je pense qu’on aurait peut-être dû me donner davantage ma chance. Quand je voyais que l’ASM achetait d’autres jeunes joueurs comme moi, je ne comprenais pas. Je ne pensais pas être en dessous d’eux. C’est aussi le cas d’autres jeunes du centre de formation. Après, c’est leur façon de faire et je la respecte. C’est pour ça que je n’ai pas fait d’histoires et que je suis allé ailleurs.
Finalement tu n’as pas disputé de match officiel avec Monaco…
Non, je n’ai fait qu’un seul groupe officiel. Finalement, lorsque tu es du centre de formation de Monaco, c’est compliqué. Quand tu regardes ils n’ont pas donné énormément de chances à leurs jeunes. C’est dommage. Ils ont l’un des meilleurs centres de formation en France, mais c’est comme ça. Chacun sa politique.
Je pense qu’ils pourraient s’appuyer un petit peu plus sur leurs jeunes. En plus, ça leur couterait moins cher. Même Kylian(Mbappé) avait dû pousser un petit coup de gueule pour avoir sa chance. Mais c’est une politique que je respecte. Je n’en veux absolument pas au club de Monaco.
« Je suis attaché au Stade Brestois »
Tu as eu des sollicitations cet hiver ?
Oui. Mais bon, on entend tout et n’importe quoi… Je n’ai vraiment pas fait attention à cela car je savais que j’allais finir ma saison à Brest.
Le but, c’est de continuer à Brest la saison prochaine ?
Oui. Tant que je suis dans un club, le but, c’est de continuer avec. Maintenant, je ne sais pas comment le club va gérer son mercato avec la situation actuelle. Tant que je n’ai pas parlé avec le club, je n’en sais rien. Je suis attaché au club, j’ai signé 4 ans et mon objectif n’a pas changé.
Est-ce qu’il y a un championnat dans lequel tu aimerais évoluer et qui sied à tes qualités de footballeur ?
Ce que j’aime vraiment, c’est le jeu vers l’avant. Hormis la Ligue 1, il y a deux championnats qui me plaisent. Il y a la Premier League, comme pas mal de footballeurs, car c’est peut-être le championnat le plus excitant, ne serait-ce que pour les spectateurs. Ça joue énormément vers l’avant. Il y a des équipes de tout genre. C’est vraiment agréable.
L’autre championnat que j’aime bien, c’est la Bundesliga. Quand on parle de possession vers l’avant, je pense tout de suite à une équipe comme le Bayern Munich. C’est un championnat intéressant où tu dois prendre du plaisir sur le terrain.
Qu’est-ce qui te manque le plus depuis l’arrêt du football ?
Les matches. Mais au-delà de ça, c’est retrouver une activité. Comme tout le monde, j’en ai un peu marre de rester à la maison.
Est-ce que tu penses qu’il y aura un avant et un après cette crise dans le football ?
Ah ça, c’est sûr ! Pendant un moment, on ne retrouvera pas le football que l’on a connu. Ne serait-ce que pour re-remplir les stades, ça va être compliqué. Même entre nous, pour retrouver une certaine tranquillité, retrouver des entrainements tous ensemble avec des contacts, ça va être difficile. Il y aura une certaine crainte au début et ça reviendra peu à peu naturellement.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Reprendre le football ! J’espère que la situation sanitaire va s’améliorer dans le monde entier, que tout le monde puisse reprendre sa vie, et que l’on n’aura pas de mauvaises surprises.