Habitué à évoquer des sujets sensibles autour du football qu’ils soient politiques, sociaux ou économiques, le journaliste et écrivain Romain Molina est réputé pour son sérieux et sa personnalité. Ultimo Diez a décidé de discuter avec lui de football, de ses souvenirs et de sa passion pour le ballon rond.
Ultimo Diez – Bonjour Romain, comment vas-tu ? Peux-tu te présenter aux lecteurs d’Ultimo Diez qui ne te connaissent pas ?
Romain Molina – Disons que ça ira mieux lorsque j’aurais terminé le dossier sur lequel je travaille depuis trois mois qui concerne une autre affaire d’abus sur mineurs.
Je suis né en Isère et j’ai grandi dans un village du nom de Heyrieux que personne ne connaît. J’ai publié six livres (ndlr: Galère Football Club, Génération Parker, Unai Emery, El Matador Cavani, La Mano Negra, The Beautiful Game) dont certains traduits en Uruguay, en Russie, en Espagne, en Angleterre et bientôt en Allemagne. Je travaille actuellement sur mon septième ouvrage. En parallèle, j’ai aussi publié de nombreuses enquêtes dans le New York Times, le Guardian, CNN ou encore la BBC. J’ai même été publié dans un média pakistanais ce qui reste très folklorique.
Je travaille donc principalement autour du football, aussi un petit peu autour du basket. J’essaye d’avoir un regard à 360° degrés que ce soit au niveau social, culturel ou encore tout ce qui concerne la criminalité.
D’où te vient ta passion pour le football ?
L’amour de ma vie reste le basketball, surtout dans la pratique. Concernant mon amour pour le football, cela remonte à mon enfance. Dans l’immeuble où j’habitais, à Heyrieux, il y avait un homme du nom de Koffi qui était le gardien de but du club local. Il venait de Côte d’Ivoire et j’étais toujours avec lui, c’était mon idole.
Je me rappelle aussi que je disais à tout le monde que j’étais allemand, ne me demande pas pourquoi (rires). J’avais un maillot de la Mannschaft. J’étais donc très vite fan des stars allemandes comme Michael Schumacher ou l’ancien gardien de Marseille Andreas Köpke.
Vers six ans, j’ai découvert des clubs de foot qui commençaient par la lettre R. C’est comme ça que je me suis mis à supporter Rennes et le Red Star. Je n’étais pas très intelligent à cette époque, faut pas déconner. (rires)
Quel est ton premier souvenir de ballon rond ?
Mes premiers souvenirs de foot sont avec Koffi, lorsque je jouais avec lui. J’avais alors 4-5 ans et je voulais vraiment tout faire comme lui. Il faut bien comprendre que Koffi avait 30-40 ans. Tellement j’étais fan de ce mec, je suivais la Formule 1 car il avait un jeu de Formule 1 sur son ordinateur.
Tu as embrassé une carrière de basketteur que tu poursuis à tes heures perdues comme c’est indiqué sur ton blog. Mais as-tu pratiqué le football en club ?
Oui, j’ai commencé dans mon club de village à Heyrieux. J’étais gardien et je n’étais pas si mauvais que ça. J’ai grandi dans une famille de footballeurs : mon grand-père maternel a été joueur et entraîneur. C’est lui qui m’emmenait aux entraînements et aux matches. Plus tard, je suis parti dans le club d’à côté à Valencin. Pour l’anecdote, j’ai quand même remporté un trophée de meilleur gardien au tournoi en salle de Diémoz.
Puis j’ai arrêté à cause d’un micmac, et oui ça existait même à cette époque. J’avais 8 ans et j’étais en poussin première année. J’étais le meilleur gardien même face aux poussins deuxième année, mais le fils de l’entraîneur était aussi gardien. Ce dernier ne voulait pas être dans les cages.
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Lors d’un match de coupe du Rhône, j’ai été surclassé avec les deuxièmes années et on a perdu 8-1. Et mon grand-père m’avait dit à la fin que sans moi, on en prenait 15. Ce ******* d’entraîneur vient me voir à la fin en me disant qu’avec son fils dans les cages, on en prend jamais 8. Ça m’a vite saoulé et j’ai décidé d’arrêter.
En 2015, ton premier livre intitulé Galère Football Club est publié. C’est ce football que tu affectionnes ?
Oui évidemment ! J’aime la découverte et ce qui est authentique. Le problème du football de haut niveau, c’est que les joueurs sont très peu accessibles et surtout ne disent pas grand chose. La moindre phrase peut générer des polémiques démesurées. Cela incite donc les joueurs à rester lisses.
Je préfère le football «folklorique», car il existe très peu de barrières et puis surtout, j’adore découvrir des histoires. C’est un peu le fan de Tintin qui est en moi. Le football est presque finalement un prétexte. Galère Football Club est avant tout une aventure humaine avec des rencontres enrichissantes. Je te donne un exemple : j’ai été invité il y a quelques années pour assister à PSG-Chelsea en loges. Mais j’ai préféré aller voir Luton Town en cinquième division anglaise. C’est vraiment ce que je préfère.
Tu as évoqué juste avant que plus jeune, tu étais «supporter» du Stade Rennais et du Red Star. Mais aujourd’hui, quels sont tes clubs préférés ?
Je n’en ai pas vraiment. J’ai une tendresse pour le Queen’s Park FC, le plus vieux club écossais. Mais depuis qu’ils ont renié leur statut amateur, le club m’intéresse moins. Historiquement, ça reste, pour moi, le club le plus pur et le plus beau. Ce sont eux qui ont le plus d’influence sur l’histoire du football. Ils ont notamment formé la plus vieille équipe écossaise et ont été les premiers à donner au football cette donnée collective. Ils sont à l’origine de nombreuses règles. Le Queen’s Park FC est le club qui a eu la plus grande influence dans l’histoire du football.
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J’ai une tendresse aussi pour Huelva qui a un lien aussi avec l’Écosse. Le docteur Mackay est un Écossais créateur de ce club espagnol qui était venu à Huelva pour combattre la tuberculose. Huelva est le plus vieux club de football espagnol. J’aime ce club aussi pour sa ville qui se trouve dans un coin perdu de l’Andalousie, sans aéroport. Huelva a toujours eu des problèmes, ils sont actuellement en troisième division. J’ai beaucoup d’amour pour ces deux clubs, mais je ne suis pas un supporter.
Un joueur qui t’a marqué ?
Steven Fletcher, car j’adore le football écossais. Les gens vont rigoler, mais faut bien comprendre : le football écossais est un football très rugueux avec peu d’artistes. Et tu as ce mec-là, que je suivais depuis Hibernian, son club formateur. C’est un excellent joueur avec une vision de jeu fantastique. Certes, son pied droit lui sert uniquement à se lever le matin, mais son pied gauche est phénoménal. Je me rappelle qu’avec Sunderland, il avait mis une formidable talonnade. Steven Fletcher est avant tout un formidable passeur. À Marseille, il n’était pas nul, mais jouait simplement avec des incompétents. Il termine la saison à quatre passes décisives en 18 matches. Ce n’est pas un bon finisseur, mais un passeur génial. Il joue simple, en une touche de balle.
Autrement plus jeune, j’avais une tendresse pour Muntari, car il prenait un carton à chaque match. Je trouvais ça phénoménal. Une tendresse évidemment pour Diego Lugano qui est un grand monsieur. Il y a quelques années, je suis allé voir un Charlton-Burnley, en Championship. Je me souviens très bien, je suis allé voir le match avec ma mère. Dans cette équipe de Burnley, je vois un jeune jouer pour la première fois. C’est un certain Kieran Trippier. Il est tellement fort et je me demandais ce qu’il faisait à ce niveau. Sur un terrain abyssal, Trippier m’a vraiment impressionné.
Tu as maintenant 30 ans. Quelle équipe t’a le plus impressionné ?
J’ai beaucoup aimé le Ghana lors de la Coupe du Monde 2006. Ils ont alors un super un milieu de terrain : Appiah-Muntari-Essien. C’est vraiment dommage que Mensah était absent lors du match contre le Brésil (ndlr: défaite du Ghana 3-0 en 1/8e de finale) et surtout qu’en attaque, ils ne savaient pas marquer un pion. C’était une équipe très sympathique à regarder jouer, qui m’avait personnellement marqué. L’Uruguay de 2010 forcément, pour le scénario avec la fameuse panenka du «loco» Sebastián Abreu (rires). C’est le football que j’aime, c’est excentrique.
Si je parle vraiment en terme de niveau, déjà pas l’Équipe de France 2018. Pardon, elle était gratuite celle-là (rires). J’ai énormément apprécié le Manchester United de Sir Alex Ferguson avec Paul Scholes. Forcément, le Barça de Guardiola était une très grosse équipe.
Après, c’est vrai que je regarde très peu de matches, surtout aujourd’hui. Je te parle ici d’équipes qui m’ont marqué surtout émotionnellement.
Dans quelques semaines va débuter l’Euro 2020, un pronostic ?
Pour te donner mon avis sur l’Euro, il faudrait encore que je regarde les matches. Je souhaite simplement, et je le dis en tant que Français, que l’Équipe de France se fasse rapidement éliminer et que la compétition soit un désastre. Attention, pas pour les joueurs, mais pour les crimes couverts pas la FFF. Car lorsque la France gagne, ça permet de cacher certaines choses. Cette fédération est une honte.
Et la Copa America ?
Déjà, je regarderai un peu plus, car j’aime bien le football sud-américain. Pourtant, les fédérations sont encore plus sulfureuses. Tu prends la Fédération Colombienne de Football, c’est un scandale. À côté, les mecs de la FFF sont des anges.
Aux niveaux des entraîneurs, lesquels t’ont marqué par leur travail, leur philosophie ou le style de jeu ?
Je trouve Marcelo Bielsa fascinant comme mec, surtout intellectuellement. Sa sagesse et le fait de se donner à 100% pour son métier, je trouve cela vraiment beau. J’ai énormément de respect pour les gens qui ne prennent pas dans la caisse et ils sont peu. Bielsa, c’est un mec honnête. Je dois aussi citer Oscar Tabárez (ndlr : sélectionneur de l’Uruguay) et forcément Francisco Maturana, sélectionneur emblématique de la Colombie, qui est un mec très humble et très charmant.
J’ai aussi énormément de respect pour Julien Mette, le sélectionneur du Djibouti qui est un véritable bosseur. Le Djibouti, c’est le challenge ultime puisqu’il n’y a rien. Et le mec a les meilleurs résultats de l’histoire de la sélection, il travaille 365 jours par an. Julien Mette, c’est vraiment Beautiful Game. De plus, la diaspora djiboutienne est presque inexistante, le seul joueur qui évolue en Europe, il est en troisième division belge. C’est que des joueurs locaux avec un sélectionneur qui a vraiment des idées de jeu et un projet. J’ai un respect énorme pour Julien Mette.
Je peux aussi parler d’Emmanuel Trégoat qui était sélectionneur du Tchad (ndlr : en 2014). Le Tchad est l’une des pires fédérations de football au monde. Emmanuel m’avait raconté son voyage en Turquie pour aller chercher des étudiants tchadiens. Il a parcouru la Turquie dans des conditions folles pour essayer de dénicher le talent de demain du Tchad. Ça, ça me parle.
Tu as fait de nombreux stades atypiques. Quel stade tu retiendrais au travers de tes expériences ?
Un match qui m’a marqué, c’est Aberdeen contre Kaïrat Almaty en Europa League. J’ai alors aucune carte de presse et je suis avec Jeremy Funes, un mec qui a tout essayé pour devenir footballeur professionnel. Il habitait alors chez moi pour faire des tests en Écosse, on essaye d’obtenir une accréditation pour aller voir le match. Je le fais passer pour mon assistant et on parvient à avoir deux places en tribune de presse. L’escroquerie est folle. À cette époque, Aberdeen a le vrai Rooney, celui avec les cheveux : Adam Rooney. Le gardien s’appelait Danny Ward et les supporters avaient remixé le titre Daddy Cool en «Dannyyyy, Dannyyyy Ward». Aberdeen va perdre contre Kaïrat Almaty. L’ambiance était énorme. Celtic Glasgow contre Malmö en Ligue des Champions c’était aussi très solide au niveau de l’ambiance.
Et un match ?
En terme émotionnel, je dirais Pakistan – Cambodge. Le match se déroule à Doha, car la FIFA a interdit le Pakistan de jouer à domicile pour divers problèmes à la fédération. C’est un match de qualification pour la Coupe du monde mais il faut bien comprendre que le match se déroule en 2019 et si tu perds maintenant, c’est fini. Cela veut dire que pour ces nations, il n’y a alors plus de matches au niveau international. Le Cambodge remporte le match aller 2-0.
Les deux équipes arrivent pour le match retour à Doha. Je mange alors avec la délégation pakistanaise, on est 48 heures avant le match. Le DTN du Pakistan m’explique l’importance de cette qualification. Je parle au sélectionneur du Pakistan qui me donne son plan. Et là, je suis à deux doigts de rire. Il me dit : «Il faut obtenir des corners et jouer des longs ballons.» Puis les Pakistanais dévalisent le buffet à l’hôtel avant le match alors qu’ils jouent le lendemain (rires). Dans le taxi pour me rendre au match, je discute avec le chauffeur qui est pakistanais et il n’est même pas au courant que son pays joue un match de qualification de Coupe du Monde.
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Les Pakistanais espèrent qu’il y aura du monde au stade, le Qatar a une forte communauté pakistanaise sur son territoire. J’arrive au stade et il n’y a absolument personne, maximum 60 personnes. J’avais de la peine pour les Pakistanais. Le match commence et le Pakistan commence sa stratégie de longs ballons. Et là, je vois quelque chose que je n’ai jamais vu : le défenseur fait une longue touche, il envoie une bombe en pleine surface. Le sélectionneur pakistanais demande alors à son équipe d’avoir le maximum de touches. La stratégie pakistanaise pour ce match est donc d’obtenir des touches (rires). Sur une touche, le Pakistan obtient alors un penalty et mène 1-0 à la pause. Autre chose folklorique, le staff ne connaissait pas la règle du but à l’extérieur pour la qualification.
En deuxième période, Hassan Bashir met une superbe tête, le banc se lève, mais le gardien cambodgien sort une sublime parade. Et puis ensuite les Pakistanais craquent et s’inclinent finalement 2-1. Les joueurs sont en larmes et je commence moi aussi à avoir les larmes aux yeux. Je ne suis pas pakistanais, mais à la fin du match, j’étais à deux doigts de prendre le drapeau. C’est un de mes meilleurs souvenirs.
Peux-tu nous pitcher ton dernier ouvrage The Beautiful Game sorti en novembre dernier ?
C’est un genre de Galère Football Club (ndlr: son premier livre sorti en 2015) mais en plus romancé. Le livre est un concentré d’entretiens de joueurs, d’entraîneurs, de ministres des sports à travers le monde. Cela commence au Yémen. L’illustration de couverture est celle d’un artiste yéménite, Murad Subay, dont l’un des neveux a été dans une milice à seulement 14 ans et est mort six mois après.
Il a donc décidé de dessiner cet enfant avec le fusil en bandoulière qui pense à un ballon de football. C’est pour montrer qu’à travers le ballon rond, on raconte aussi l’histoire moderne du Yémen, de l’Irak, du Pakistan et de nombreux pays. L’idée est de montrer que surtout dans ces pays, le football n’est pas seulement qu’un sport. The Beautiful Game vient te montrer comment le football est un enjeu de pouvoir et politique, ce livre est un ovni. Je suis très fier de cet ouvrage qui est un pari, il n’a reçu aucune promo. J’y ai mis tellement d’amour.
Un dernier mot ?
Il faut acheter le livre de Maxime (ndlr: 1987, génération sacrifiée ?). Ultimo Diez étant un site d’aspiration maoïste, il faut rendre hommage au grand leader (rires). Longue vie à U10 qui va bientôt s’arrêter et je tenais à vous féliciter du travail accompli. Le meilleur pour tout le monde. Et comme disait Hugo Chavez : «l’amour se paie avec de l’amour.»
Un grand merci à Romain Molina pour la confiance accordée. Son dernier ouvrage The Beautiful Game est toujours disponible aux éditions Exuvie.