Sankt Pauli, un monument sur courant alternatif

A Hambourg, il y a l’Elbe, les briques rouges, le port, le Hamburger SV et encore bien d’autres attractions. Au milieu de tout cela, on trouve St. Pauli, un quartier, un club de football, une ville dans une ville, un monde à part. Rien ne ressemble là-bas au reste de la deuxième plus grande ville d’Allemagne. Pas de luxe ni de richesses, bien au contraire. Cet endroit était d’abord destiné aux pêcheurs, puis aussi aux immigrants, autrement dit un vaste « melting pot ». Le quartier est rempli de bars, de petits clubs, de théâtres et autres lieux où des activités sans le moindre lien avec le football sont effectuées. Tout s’y fait en musicalité : du rock, certainement les Beatles, sans oublier l’alcool.

De la Reeperbahn en allant jusqu’au Millerntor Stadion, l’histoire de Sankt-Pauli s’est écrite au fil des années, avec des hauts et des bas, mais toujours beaucoup de bruit.

Quand politique rime avec football

Si le nom de ce quartier est si connu, c’est bel et bien grâce à son club. Un club modeste, qui n’a jamais brillé et n’a jamais vraiment côtoyé les sommets à l’inverse de son voisin. Un peu comme à Madrid, on a David et Goliath réunis dans la même ville, bien que ce soit un niveau plus modeste. Car si l’on devait associer le FC Sankt-Pauli à un club de la capitale espagnole, ça ne serait pas l’Atlético mais plutôt le Rayo Vallecano. A partir de là, il est facile de comprendre que l’identité du club ainsi que celle de ses fans est fermement liée à celle de la gauche. Beaucoup pensent que la politique n’a rien à faire dans le sport, toutefois, cet adage est complètement ignoré en terres hambourgeoises.

Bien que fondé en 1910, le club n’a pas toujours été si populaire dans le paysage du football. Cette montée en puissance s’est globalement faite sur le tard, notamment du fait des exploits du HSV qui savait encore ce qu’il faisait. C’est ainsi que dans les années 80, divers groupes sociaux qui restaient en marge de la société comme les squatteurs locaux, les prostituées ou des étudiants ont petit à petit rempli les travées du stade. Au moment où le rival de la ville remportait le plus prestigieux des trophées européens, le FCSP, lui, écrivait son histoire à sa façon, en se positionnant aux antipodes de l’image d’une structure voulant s’enrichir.

« St-Pauli Fans gegen Rechts » (Fans de St-Pauli contre la droite) – Crédit photo : fcstpauli-afm.de

L’identité politique, aujourd’hui indissociable du club, s’est ainsi construite avec ce public qui a rapidement commencé à lutter contre le racisme, l’homophobie, le fascisme, le sexisme et toutes les formes de discrimination. Ces différents engagements politiques les ont poussés à afficher leurs combats en tribunes à maintes et maintes reprises, notamment avec des inscriptions sur lesquelles on pouvait lire « Kein mensch ist illegal » (personne n’est illégal). Combats que l’on retrouve aussi sur le terrain lorsque les joueurs eux-mêmes, accompagnés de ceux du Borussia Dortmund, affichaient une banderole « Refugees welcome » à l’occasion d’un match de coupe d’Allemagne. Cet engagement mené pour les l’accueil des réfugiés s’est également illustré dans le soutien offert par le club et les fans au FC Lampedusa, équipe composée de réfugiés présents sur l’île italienne. En offrant cela, l’entièreté de la communauté du FC Sankt-Pauli a démontré à quel point la politique était primordiale pour elle. Une communauté qui dépasse d’ailleurs les frontières allemandes et que l’on retrouve en Angleterre, en Grèce, en Ecosse, aux Etats-Unis, ce qui en fait l’une des plus importantes du monde.

Si le club peut facilement être associé au socialisme avec ce qui est prôné depuis une trentaine d’années, la politique n’est pas le seul emblème de cette équipe. Tout le monde a déjà vu cette tête de mort (Totenkopf), aussi connue que l’écusson rouge et blanc posé sur un fond marron. Cette dernière a fini par devenir l’autre écusson qui est fièrement représenté de toutes parts. Ce symbole est né, lui aussi, dans les années 80 quand ce nouveau public a fait son arrivée. De nombreux squatteurs qui vivaient le long des docks ont ramené un drapeau avec cette image et elle s’est répandue comme une traînée de poudre.

Totenkopf und Millerntor (Crédit photo : hamburg-zwei.de)

Et encore une fois, il y a toute une symbolique derrière puisque cela représente le combat contre les clubs riches mené par l’un de ceux qui ne roulent pas sur l’or. C’est un peu « comme les pirates qui se battent pour les pauvres contre les riches » disait Sven Brux sur CNN, supporter du club et aussi garant de l’organisation des fans ainsi que de la sécurité du stade. Un stade qui fait d’ailleurs toujours le plein, en dépit des résultats sportifs qui sont loin d’être stables.

            Des résultats en dents de scie malgré le potentiel et les envies

Après avoir frôlé le drame en 2003, le club, alors en troisième division allemande (2 années après avoir fait tomber le Bayern Munich en Bundelsiga), doit se reconstruire. Après avoir été aidé par des fans et d’autres clubs allemands afin d’éviter la rétrogradation ainsi que le dépôt de bilan, tout recommence à zéro, avec une nouvelle équipe et un nouveau président, Corny Littmann -homosexuel et fier de l’être (également directeur d’un célèbre cabaret de St-Pauli : Schmidt-Theater)- qui va rester jusqu’en 2010. Ce dernier va grandement contribuer à la reconstruction de cette structure légendaire.

Sous son commandement, le FCSP a lentement remonté la pente jusqu’à être de nouveau promu en Bundesliga, tout ça sans perdre son identité. Le marchandising a dû fortement être développé afin d’assurer des revenus au club et Stefan Orth, président actuel du club, poursuit le travail de la meilleure des manières possibles. Bien que développer ce secteur peut paraître étrange compte tenu des valeurs défendues par le club, c’était nécessaire pour s’assurer des revenus. En ayant une très grande cote de popularité, la vente de produits dérivés était une solution facile, certaine de fonctionner. Le club a fait confiance à des joueurs allemands, afin de conserver cette même ligne directrice si importante aux yeux des supporters. Le nom du stade est lui aussi resté intact. Si le HSV avait accepté le naming, au même titre que de nombreux autres clubs allemands, entre 2001 et 2015 (le Volksparkstadion est de retour depuis deux ans), le Millertor-Stadion est le même. Comme une autre manière de se rebeller face aux riches clubs du pays.

Quand tu fêtes la montée en Bundesliga. (Crédit photo : bbc.co.uk)

En bref, pour permettre de garder un pied dans le football, un équilibre a dû être trouvé afin d’éviter les conflits. Et à ce jour, Sankt-Pauli se porte bien, enfin mieux. Puisque trouver le calme sur la rive droite de l’Elbe est un peu utopique tout de même. Les entraîneurs ont tendance à se succéder rapidement, les résultats sont un tantinet inconstants et ce même avec un effectif qui est loin d’être ridicule. Depuis le départ d’Holger Stanislawski (2007-2011), véritable enfant du club pour y avoir joué pendant 11 saisons, 6 hommes se sont succédés sur le banc des Hambourgeois. Et aujourd’hui, c’est Ewald Lienen, en place depuis décembre 2014, qui a Sankt-Pauli entre les mains. Son mandat est pour le moment assez particulier, puisqu’après avoir sauvé le club de la relégation, la saison suivante a été impressionnante. En finissant à la quatrième place, le retour dans l’élite n’est pas passé loin. Mais avec une fin de saison en demi-teinte, les espoirs se sont rapidement envolés. Toutefois, le monde du football allemand était convaincu que ça ne serait que partie remise.

Visiblement, tout le monde s’était trompé puisque cette saison 2016-2017 fait office de chemin de croix. Durant la première partie de saison, le club n’a remporté que deux matchs, en a perdu 11 et a fait 5 matchs nuls. Un bilan effrayant qui les a laissés dans une position délicate à la trêve qui était celle de relégable. Avec un tel bilan, tout portait à croire que le club était condamné à rejoindre une nouvelle fois la 3. Liga, car avec 11 points en décembre… Mais apparemment, l’hiver a fait du bien à tout le monde.

Allégorie de la première partie de saison. (Crédit photo : bild.de)

Depuis le 27 janvier 2017 et le début du Rückrunde, l’équipe a gagné 4 de ses 6 matchs, avec un seul nul et une défaite face à l’Union Berlin qui est dans la forme de sa vie et tout proche de la montée en Bundesliga. Dernièrement, un 5-0 a même été infligé au Karlsruher FC, pourtant proche de la montée 3 ans auparavant. En cinq semaines, Sankt-Pauli a déjà glané plus de points que pendant toute la première partie de saison, donc on peut croire au miracle et se dire que la descente ce n’est pas pour tout de suite. Avec un Aziz Bouhaddouz en feu qui ne s’arrête plus de marquer depuis la reprise, Sobiech qui donne sa vie à chaque match en défense, ou encore Cenk Sahin qui impressionne son monde sur son côté droit, on peut y croire. L’arrivée en prêt du SC Freiburg de Mats Möller-Daehli n’est peut-être pas étrangère à ce retour fracassant… A croire que le Norvégien a embarqué avec lui la recette du succès qu’a le club de la Forêt-noire depuis deux ans.

En outre, l’espoir est de retour pour Sankt-Pauli qui devrait pouvoir poursuivre son chemin en 2. Bundesliga s’ils parviennent à maintenir le rythme. Pour la suite, il est difficile de savoir de quoi sera fait la prochaine saison sur le plan sportif. Mais à côté de cela, il est certain que les combats politiques resteront, au même titre que les supporters qui ne cessent de chanter à chaque match afin de montrer leur amour pour leur club et leurs couleurs. Puisque même si ce n’est pas le club glorieux de tous, le FC Sankt-Pauli a le mérite de rester fidèle à ses valeurs, coûte que coûte, et ça c’est déjà une grande victoire, surtout aujourd’hui.

 

Credit photo : Jenz Brainwashed

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Parle d'Allemagne et de Bundesliga, et c'est à peu près tout.