Voici la seconde partie de l’interview réalisée avec Kevin Hatchard, journaliste anglais, au cours de laquelle nous avons abordé les jeunes joueurs en Angleterre et en Allemagne ou encore Liverpool. Bonne lecture !
[Interview] Kevin Hatchard : « Guardiola a rendu la Bundesliga plus intéressante »
Au début de l’interview, vous m’avez dit que vous étiez un supporter de Liverpool. Le club a maintenant un entraîneur allemand que vous connaissez bien : quel est votre sentiment là-dessus ? Que pensez-vous du travail qu’il a réalisé depuis qu’il est arrivé alors ce que le club était dans une période difficile ?
D’abord, Klopp à Liverpool c’est parfait pour moi ! Après, de manière générale je pense qu’il a effectué un travail brillant. Vous savez, Liverpool a eu des saisons nettement plus faibles auparavant sur le plan mental, ils gagnaient les gros matchs puis perdaient ceux contre les petites équipes. Cela se produit encore aujourd’hui mais c’est moins fréquent. Le fait d’avoir 70 points [73 actuellement] est vraiment impressionnant. Car si l’on revient en arrière, jusqu’à récemment le fait d’être dans le top quatre et d’être qualifié en Ligue des champions ce n’était pas simple. Nous avons mis du temps à nous mettre en route, mais nous avons déjà joué deux finales alors je pense que les supporters devraient être satisfaits de ce qu’ils ont vu jusque là. Qui plus est tout a été fait avec la manière, quand l’équipe se met à jouer ensemble correctement, ils sont vraiment plaisants à regarder. En termes de budget, nous ne sommes pas au niveau de Manchester United, Chelsea ou Manchester City, et je ne pense pas que nous l’atteindrons avec Klopp, mais l’équipe reste très bonne. Parfois ça fonctionne et parfois non. Toutefois s’il y a une chose sur laquelle on pourrait critiquer l’entraîneur allemand ce serait le fait qu’il n’a pas de plan B, et les supporters de Dortmund seront d’accord avec cela puisque ça a toujours été le cas. Il n’y a qu’un seul plan, c’est tout, quand ça marche c’est génial sinon c’est plus compliqué.
Depuis son arrivée à Liverpool, on a pu voir qu’à plusieurs reprises il s’est « énervé » contre le public d’Anfield qui n’apportait pas suffisamment de soutien à l’équipe à son goût. Avez-vous l’impression que les publics allemands lui manquent, cet enthousiasme particulier qui règne autour du football ?
Les supporters apprécient la passion qu’il transmet au club mais c’est différent. D’ailleurs c’est intéressant qu’à Dortmund on soit passé de Jürgen Klopp qui est très chaleureux et passionné à Thomas Tuchel qui est également très passionné par le football mais d’une façon complètement différente. Il est plus dans l’intensité, il est analytique, certaines personnes le trouvent froid, en d’autres mots, il est diamétralement opposé à son prédécesseur. Il y a eu un changement, mais la passion est restée. La chose la plus intéressante d’ailleurs avec les entraîneurs allemands, c’est qu’ils sont tous énormément passionnés par ce qu’ils font. On peut le voir à chaque match. Parfois sur Sky Deutschland on peut les voir discuter du match à venir ou sur un tout autre sujet. Ils sont très accessibles et francs, mais ça a toujours été comme ça en Bundesliga. Donc je pense que d’une certaine manière, oui l’Allemagne lui manque.
Xabi Alonso a été un joueur important pour Liverpool, quels sentiments éprouves-tu à l’égard du fait qu’il prenne sa retraite à la fin de la saison, tout comme Philipp Lahm qui a marqué l’histoire du Bayern Munich ?
Tout d’abord Lahm est un joueur extraordinaire, c’est le joueur que tous les entraîneurs rêvent d’avoir parce que tu sais à quoi t’attendre à chaque match. C’est un meneur d’hommes, il a réussi à tirer le maximum de ses capacités physiques et tactiques, c’est un gagneur. Enfin tu regardes des personnes comme lui, Bastian Schweinsteiger, Thomas Müller, ils ont toujours envie de gagner. Quand on se pense à ce qu’il a remporté, c’est horrifiant, surtout en tant que latéral qui est une position très exigeante où tu dois mettre énormément d’intensité à chaque match. Il est simplement excellent à ce poste. Il a aussi effectué un très beau travail pour l’Allemagne, tout comme pour le Bayern depuis des années maintenant. Je pense qu’il aurait pu encore continuer avec la sélection et son club afin de gagner encore plus de titres, mais non il veut simplement passer plus de temps avec sa famille.
Xabi Alonso, quant à lui, est époustouflant. Il a littéralement gagné tout ce qui était possible de gagner, et il a fait ça dans plusieurs pays : avec le Real Madrid, le Bayern Munich et Liverpool avec qui il a gagné la Ligue des champions et la FA Cup. Il était vraiment important pour l’équipe qui a remporté la Ligue des champions, notamment pendant la finale, sans lui nous ne l’aurions jamais gagnée. Même quand Rafa Benitez ne voulait plus de lui à Liverpool, il a gardé la tête haute, il a fait de son mieux et il a su rebondir. La façon dont il a su adapter sa manière de jouer à différents championnats est impressionnante. Puis au niveau international avec l’Espagne il a remporté deux Euro et une Coupe du monde, donc grâce à tout cela, il restera l’un des meilleurs joueurs de l’histoire.
Pensez-vous que le Bayern va souffrir de ces deux pertes et que cela va aider les autres clubs à amoindrir la différence entre eux et le Rekordmeister ?
Je pense que ça va être l’occasion pour les jeunes joueurs de montrer de quoi ils sont capables. Joshua Kimmich devrait avoir plus de temps de jeu ce qui est une bonne chose, Renato Sanches qui a eu une saison pour s’adapter aura tous les regards tournés vers lui à chaque performance etc. Après, ils ont été vraiment intelligents en faisant signer Sébastian Rudy qui était dans la dernière année de son contrat avec Hoffenheim. C’est un joueur régulier qui peut prouver qu’ils ont eu raison de l’enrôler. Et puis de toute manière, ils ont encore beaucoup de personnes expérimentées au sein du club, ils ont Carlo Ancelotti, Arjen Robben, Frank Ribéry, Mats Hummels, Jérôme Boateng et Manuel Neuer. Cela reste énorme. Toutefois il y a des interrogations, ça dépendra de ce qu’il adviendra à Dortmund par rapport à l’entraîneur, mais j’espère qu’ils arriveront à les rattraper malgré tout. Leipzig sera aussi plus fort donc… D’autres équipes comme Leverkusen, Gladbach et Schalke devraient aussi faire quelque chose pour être plus régulier et essayer de concurrencer le Bayern.
La situation actuelle à Dortmund est vraiment tendue, que va-t-il se passer selon vous dans les prochaines semaines ?
La relation entre Thomas Tuchel et Hans-Joachim Watzke ne fonctionne pas. Pour diverses raisons, il y a eu des désagréments concernant les transferts ce qui rend la situation vraiment complexe. C’est dommage car il a le potentiel pour faire monter Dortmund à un niveau supérieur. Je pense qu’il a été extrêmement déçu et agacé après avoir perdu trois joueurs majeurs l’été dernier, ça a été un gros coup dur. Mais ça en aurait été un pour n’importe quel coach qui doit faire face à ça. On peut voir qu’il y a de la frustration, mais ils pourraient essayer d’arranger et décider de faire évoluer le club, ça pourrait être vraiment bénéfique. Mais avec ce qui sort dans les médias, cela suggère que cette situation ne pourra pas durer.
Vous avez brièvement évoqué les équipes internationales plus tôt ; l’Angleterre a eu une équipe incroyable composée de joueurs comme de Paul Scholes ou bien David Beckham, avez-vous des regrets que cette dernière n’ait jamais rien gagnée ?
Oui clairement. Le problème avec l’Angleterre est le même depuis des années maintenant : ils ont toujours été proches de gagner quelque chose, mais ils n’y sont jamais parvenus. Nous n’avons pas suffisamment de façons de jouer, nous jouons pratiquement toujours de la même manière, on se repose sur le physique. On dirait que nous n’avons pas été capables de nous adapter à différentes situations, là où les bonnes équipes comme l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie l’ont fait. Et quand bien même l’Angleterre a eu des individualités très talentueuses, elle n’a jamais vraiment eu de plan pour arriver jusqu’au bout d’une compétition. Récemment, les joueurs talentueux qu’il y avait n’ont pas été utilisés correctement. Il y a aussi de la peur. Nous mettons beaucoup de pression sur eux, ils sont constamment critiqués, donc les joueurs ont en quelque sorte développé une peur des grosses compétitions. On a pu le voir contre l’Islande à l’Euro : des joueurs qui sont généralement bons ne parvenaient même pas à se passer la balle à cinq mètres. Donc la peur est bien là. Je doute aussi qu’ils soient entraînés correctement en termes de gestion à un niveau où c’est primordial.
Parlons d’une autre différence entre le football anglais et allemand. On peut voir qu’en Angleterre une jeune génération arrive, une génération relativement talentueuse tout comme en Allemagne bien que ce soit maintenant le cas depuis plusieurs années. Quelles différences percevez-vous à ce niveau entre les deux pays ?
Le truc avec les jeunes joueurs en Allemagne c’est qu’on leur donne très tôt leur chance, on leur confie des rôles importants très tôt. Si l’on regarde le Bayer Leverkusen par exemple, Kai Havertz a déjà marqué des buts importants à seulement 17 ans, Julian Brandt joue régulièrement depuis qu’il a 19 ans [il en a 21 maintenant], c’est pareil pour Benjamin Henrichs [36 matchs joués toutes compétitions confondues] qui a tout juste 20 ans et qui est constamment titulaire. A Dortmund, il y a Christian Pulisic, Ousmane Dembélé et encore d’autres joueurs. A Gladbach, ils ont Mahmoud Dahoud et Andreas Christensen qui sont extrêmement précieux. Ces joueurs sont tout le temps sur le terrain dans des positions où ils influencent fortement le jeu.
En Angleterre, on a plutôt la sensation qu’ils sont justes utilisés comme des remplaçants, nous n’avons pas cette habitude de les lancer dans le grand bain comme c’est le cas en Allemagne où ça fonctionne très bien. Le système de développement est là depuis longtemps, on a des centres de formation dans le pays mais je ne pense pas qu’on donne une chance assez tôt à ces joueurs pour se développer comme c’est le cas pour Havertz ou Weigl. Ce dernier est d’ailleurs un exemple concret : à Dortmund il a un rôle déterminant au milieu de terrain, c’est fou de voir à quel point il est précieux. Mais aurait-il autant joué en Angleterre à un si jeune âge ? Je n’en suis pas sûr. Je doute qu’il aurait eu cette opportunité. [Il joue de manière régulière pour Dortmund depuis qu’il a 19 ans]. Si tu veux que les jeunes joueurs se développent, tu devrais prendre le risque de les faire jouer.
Photo credits : AFP PHOTO / Christof STACHE