Entretien exclusif avec les Ultraboost de Jacques-Henri Eyraud

Très courtisées depuis maintenant dix mois, les chaussures du président marseillais Jacques Henri Eyraud ont choisi Ultimo Diez pour s’exprimer dans un entretien exclusif.

Merci à vous d’avoir accepté cette interview, on sait que vous êtes très sollicitées. Pour commencer, pouvez-vous nous donner votre parcours ?

Chaussure droite : « On a eu un parcours classique de chaussure. D’abord, on a été formé à Taïwan, qui est l’une des académies les plus efficaces du monde. Une fois la formation terminée, on a été mis en boîte. C’est la période la plus difficile, tu es prêt à être utilisé mais tu dois encore attendre. Premier transfert direction le siège d’Adidas France. C’est un peu l’INF Clairefontaine des chaussures. À partir de là tout s’est accéléré. »

Chaussure gauche : « On est un peu ce qu’on pourrait appeler des symboles de la mondialisation. Certes on a été formé à Taiwan mais… regardez, on est issu de lacets italiens, de semelles anglaises… le tout alors qu’on possède la nationalité allemande et que l’on évolue en France, c’est assez cocasse. »

Ça n’a pas dû être facile tous les jours, j’imagine que ça vous a forgé ?

Chaussure droite : « Aujourd’hui encore c’est difficile d’en parler. Les formateurs taïwanais sont en général très jeunes et très malpayés. Il leur arrive de faire des erreurs fatales, une couture de travers et… *s’essuie une larmichette qui coule le long de la languette* pardon, je repense à un de nos cousins, Stan Smith. Il n’a pas eu notre chance. »

Chaussure gauche : « Parfois, ils manquent de tact. Ils pourraient être plus doux avec nous. Mais ce sont des gens relativement pressés, ils n’ont pas de temps à nous accorder personnellement. Donc oui, effectivement, ça nous a forgées. Ça nous a rendues fermes, dures sur la semelle mais une fois en confiance, on peut être relativement confortables. Comme on l’a dit, le plus difficile c’est la mise en boîte. Lorsque l’on nous place cet insupportable bout de papier au bout de la chaussure… ils sont obligés de nous placer en PLS dans la boîte tant la douleur est forte. On prie pour que cette période dure le moins longtemps. »

Parlons de votre arrivée chez Jacques-Henri Eyraud. Comment ça s’est fait ?

Chaussure gauche : « À ce moment là, on avait déjà quitté le siège d’Adidas France pour évoluer dans une petite boutique de sneakers parisienne. On savait que le stock d’ultraboost n’était pas extrêmement grand. À partir de là, on savait qu’on allait être transféré rapidement, donc on s’est tenu prêt. Puis la facture est arrivée, et le vendeur est venu nous chercher. »

Chaussure droite : « Apparemment le proprio s’était mis d’accord avec son styliste et son directeur ménager pour acheter des chaussures qui soient un peu « détentes » mais il ne voulait pas dépasser 150€, donc ça a fait traîner les choses. Mais maintenant on est là, et on s’est bien adapté à la forme de ses pieds. »

« On peut dire que je prends mon pied »

Et les conditions hygiéniques ?

Chaussure droite : « On n’a pas à se plaindre. Le proprio porte toujours des chaussettes, et nous laisse nous aérer assez souvent. De toute façon, si ça n’avait pas été le cas on aurait trouvé l’odeur pour le lui faire savoir. Le soir, on est laissé dans des étagères avec les autres chaussures, ça nous a permis de sympathiser. Il y a des sneakers à LED, ce sont un peu les ambianceurs du groupe.

Chaussure gauche : « Je crois qu’aujourd’hui, on peut dire que je prends mon pied (rires). »

Justement, on a récemment aperçu Jacques-Henri Eyraud avec des mocassins, vous n’avez pas peur de la concurrence ?

Chaussure gauche : « On est des compétiteurs. Évidemment on aimerait être utilisé tous les jours de la semaine mais il faut parfois accepter d’être laissé sur l’étagère. Cela ne veut pas dire que l’on est pas performant. Ça peut aussi dépendre du style vestimentaire de la journée, de la météo… Avec les mocassins, on s’entend bien et on est plutôt complémentaires. »

Chaussure droite : « Il faut remettre les choses dans leur contexte. Cette photo en mocassins, c’était lors de la présentation d’Abdennour. On était en période de canicule. Les mocassins offrent une meilleure respiration des pieds, c’est important quand il fait chaud. Nous, on connait notre force : on est plus confortable. Quand il fera appel à nous, on prendra les pas les uns après les autres. »

Le mercato des sneakers est très ouvert et instable, cela vous fait peur ?

Chaussure gauche : « Pas plus que ça. C’est vrai qu’on voit apparaître des nouvelles sneakers de plus en plus souvent. Mais le plus important c’est le confort que tu offres à ton propriétaire. Certains sont plus intéressés par le projet esthétique, c’est vrai. Mais si la personne est bien dans ses baskets, elle te rend cette confiance. »

Chaussure droite : « On est très tranquille. Quand tu te lances dans une nouvelle paire, tu la conserves quelques mois. Après dans le marché des chaussures, on ne peut jamais dire jamais. Si on doit un jour se retrouver sur le Bon Coin, on l’acceptera. »

La durée de la carrière d’une paire de chaussures est très limitée, où vous voyez-vous d’ici deux ou trois ans ?

Chaussure droite : « On en a souvent discuté. C’est vrai qu’on a une durée de vie un peu courte. Que faire après ? Moi, j’aimerais bien être donné à des associations de charité, démarrer une deuxième carrière dans un milieu amateur. Pourquoi pas hors d’Europe ? Des gens ont besoin de chaussures, la pauvreté est un sujet sensible. »

Chaussure gauche : « C’est un sujet sur lequel on n’est pas d’accord, donc nous ne sommes pas encore parvenues à une décision. Personnellement, j’ai toujours voulu rendre ce que l’on m’a donné. Donc j’aimerais être recyclé. Voir mes lacets sur une autre paire de chaussures. Mes semelles devenir des feuilles A4. Voilà ce que j’aimerais. »

Dernière question : on dit souvent que marcher dans la merde avec le pied gauche, ça porte chance…

Chaussure droite : « En tout cas on porte l’odeur ! (Rires) »

Chaussure gauche : « C’est toujours enquiquinant… peut-être que pour le propriétaire, ça porte chance, moi en tout cas je l’ai jamais ressenti. Et quelle plaie pour se nettoyer ! »

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