« L’amour, après tout, n’est qu’une curiosité supérieure, un appétit de l’inconnu qui vous pousse dans l’orage, poitrine ouverte et tête en avant » écrivait Gustave Flaubert à Louise Colet en 1846. S’il y a bien une chose qui pousse Jonas à se jeter tête en avant pour frapper le ballon sur un centre, c’est l’amour. Non pas l’amour de la réussite, de la célébrité ou de l’argent. Du football ? Un peu. Mais par-dessus tout l’amour de la soixantaine de milliers de personnes qui se réunissent à l’Estádio da Luz à chaque match de Benfica.
« Le pire attaquant du monde »
Né le 1er avril 1984 à Bebedouro, petite ville de l’État de São Paulo au Brésil, Jonas Gonçalves Oliveira a fait ses gammes dans son pays natal. Faiblard physiquement mais talentueux au possible, ses débuts tardifs sont difficiles. Il faudra un prêt de 6 mois au Portuguesa pour le voir exploser, à 23 ans, et revenir dans « son » club, le Grêmio Porto Alegre.
Chez les Tricolors, il s’impose et dispute un total de 131 matchs pour 72 buts. Entre le 15 septembre et le 17 octobre 2010, il joue 9 matchs, marque 12 buts et offre 5 passes décisives. Vainqueur du tournoi Rio Grande do Sul en mai 2010, Jonas remporte son premier trophée et quitte le Brésil 6 mois plus tard avec un titre de meilleur buteur du championnat (23 buts) et une place dans l’équipe-type de la saison. Et pourtant, une étiquette lui collera toujours à la peau à Porto Alegre : celle de « pire attaquant du monde » selon Mundo Deportivo.
Le 12 mars 2009, déplacement à Tunja pour affronter le club colombien de Boyacá Chicó, en Copa Libertadores. Jonas se retrouve balle au pied aux 16 mètres, quasiment en duel face au gardien et… lui tire dessus. Cela arrive même aux meilleurs. Mais Jonas récupère le ballon non-capté et passe devant le gardien. Il n’a plus qu’à mettre le ballon dans le but… et tire sur le poteau. Mais il a encore le ballon. Le gardien revient, Jonas l’efface et… rate une nouvelle fois. La presse n’a pas manqué une miette de cette triple occasion. « Pior atacante do mundo. » Celui qu’on surnomme « Pistolas » à Lisbonne quittera le club sous un bien meilleur jour et découvrira l’Europe avec Valence.
Recruté pour 1.25M€ et lancé par Unai Emery, il prend assez rapidement ses marques et s’installe dans le onze dès la saison 2011-2012, découvrant par ailleurs la sélection auriverde. Beaucoup moins efficace qu’au Brésil, il inscrit néanmoins 6 buts dans les 7 dernières journées de championnat et permet à Valence d’arracher la troisième place. Laissé libre en 2014, ses années valenciennes restent mitigées. Avec 52 buts en 157 matchs, Jonas n’a pas su porter cette équipe sur ses épaules et son très faible rendement lors de sa dernière saison le laisse à l’abandon, sans club. Il faudra attendre le mois de septembre pour qu’il signe un contrat à Lisbonne.
Du cœur et du cran
Voici un tutoriel pour bien commencer vos débuts dans votre nouveau club. Entrez en jeu et marquez votre premier but contre Arouca en championnat, avant d’être titularisé en Coupe de la ligue contre Covilhã. Vous inscrivez alors un triplé et faites gagner votre équipe 3-2. Mission accomplie : les supporters vous ont adopté. Qui aurait pensé qu’un attaquant signé après la fin du mercato totaliserait 31 buts en 35 matchs au terme de la saison ? Les supporters de Benfica ont dû se demander comment Valence a pu laisser partir un tel joueur, et comment il est possible qu’aucun autre club ne se soit jeté sur l’occasion.
Nous parlons ici d’un attaquant qui peut jouer neuf ou neuf et demi, idéal pour évoluer en soutien d’un avant-centre. QI football largement supérieure à la moyenne, vision de jeu, jeu sans ballon et une qualité de passe qui en font le parfait complément d’un vrai buteur (cc Mitroglou). Très technique, il peut se créer sa propre fenêtre de tir, frapper de loin et marquer avec les trois surfaces principales. En 2015/2016, sur ses 32 buts inscrits en championnat, 9 sont du gauche, 15 du droit et 8 de la tête. Mais par-dessus tout, Jonas est un joueur qui possède énormément de cœur et de cran.
Les récompenses pleuvent, pleuvent, pleuvent. Benfica rafle quasiment tout depuis 3 ans au Portugal et Jonas n’y est pas innocent. Il a été élu joueur de l’année de Primeira Liga pour ses deux premières saisons, avec un titre de meilleur buteur en 2015/2016 (32 buts).Le Brésilien remporte trois fois de suite le titre de joueur du mois en championnat (de janvier à mars 2016), inscrivant 16 buts et réalisant 4 passes décisives sur la période. L’apothéose de cette forme olympique se prononce en Ligue des champions.
En huitièmes de finales aller, face au Zénith Saint-Pétersbourg, Jonas va délivrer les Benfiquistas dans le temps additionnel en reprenant de la tête un coup franc de Nicolas Gaitan. Dans les trois grandes religions monothéistes, Jonas est un prophète. Dans la vraie vie, rien ne change. En remportant le match retour 2-1, Benfica retrouve les quarts de finale de la Champion’s League pour la première fois depuis 3 ans. Cependant, les détracteurs du Brésilien l’accusent d’être absent des grands matchs. Ils n’ont pas tort. Si l’on cumule les matchs de Ligue des champions et les oppositions face au Sporting et Porto, Jonas compile 4 buts en 21 matchs.
Mais combien de fois Jonas a-t-il sauvé Benfica d’un piètre match nul en inscrivant un but qui leur permettait de rester leader ? Ces dernières années, la lutte acharnée pour le titre n’a généralement révélé son verdict que dans les dernières journées. Chaque week-end, l’objectif est de ne pas céder de terrain aux deux autres grands clubs. Dans l’ambiance chaude de l’Estádio da Luz, les chants ne s’arrêtent jamais. L’amour est toujours dans l’air, que l’équipe mène, perde largement ou ronronne face au modeste C.D. Tondela. Car les supporters savent.
Ils savent que les joueurs mouillent le maillot et que leur cœur bat pour Benfica. Le sang de Jonas est certainement rouge et blanc. 31ème journée de championnat (sur 34), Benfica compte trois points d’avance sur Porto. Face à Estoril, les Aigles n’y arrivent pas. 1-1 à la 66ème. C’est cette minute que Jonas choisit pour déclarer que le titre reviendra encore une fois aux Lisboètes. Boulet de canon aux 20 mètres, célébration à moitié dans les tribunes, des supporters rentrent sur le terrain. L’euphorie est totale. Noyé entre des coéquipiers, des stadiers et des fans, Jonas s’extirpe de cette foule telle une rockstar.
« Benfica est un club merveilleux »
Une relation d’amour peut se définir par la volonté de deux personnes de se combler mutuellement à travers des gestes ou l’expression de sentiments. Jonas et Benfica s’aiment. En mars 2016, le Brésilien est de retour en sélection pour la première fois depuis 5 ans. Et il sait à qui il le doit : « Benfica est un club merveilleux. Si j’ai pu revenir aujourd’hui en sélection, c’est grâce à Benfica et au football que je produis là-bas. J’ai trouvé là-bas une structure qu’il n’y avait pas dans les autres clubs. Benfica a une grande importance sur ma convocation. »
Ce n’est pas le premier acte de gentillesse de Jonas à l’égard de son club. En août 2015, après 4 ans passés en Europe et ayant une ascendance italienne, il obtient un passeport italien et libère une place d’extra-communautaire pour la Ligue des champions. En exagérant un peu, on peut y voir une passe décisive pour son jeune compatriote Talisca, buteur sur coup franc face au Bayern Munich 7 mois plus tard.
« Chaque jour je t’aime davantage, aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain », écrivait Rosemonde Gérard. Rui Vitoria, l’entraîneur de Benfica, peut s’adresser de la sorte à Jonas, car il serait peut-être déjà au chômage sans lui. Pistolas a sans cesse affolé les compteurs depuis qu’il est à Lisbonne, et pourtant, il n’a peut-être jamais été aussi bon que cette saison 2017/2018. Il est vrai qu’il est plus facile d’étinceler dans ce Benfica exaspérant au possible. Encore une fois, on dit merci Jonas : 8 matchs de championnat, 9 buts et 2 passes décisives. Et quand on parle de but, on ne parle pas de pousser le ballon après un festival de Salvio, mais de nettoyer les lucarnes une fois les pieds dans les 20 mètres.
Si Luisão (+500 matchs pour Benfica) représente l’âme de l’équipe, Jonas est ce supplément d’âme. Ce charisme particulier. Mal rasé, pas très costaud, vite décoiffé, inactif sur les réseaux sociaux. Strass et paillettes ? Très peu pour lui. Jonas, c’est l’effort, la transpiration, la détermination, le réflexe de courir vers le virage de l’Estádio da Luz. Sauf quand ses coéquipiers lui montrent leur gratitude après un but en mettant un genou en évidence et incitant leur attaquant à poser son pied droit dessus, pour se faire cirer les crampons. Finalement, Jonas, c’est peut-être ce qu’il y a de plus beau dans le football. Le dévouement, l’obstination du but, le frisson lorsque toute une foule se lève tel un seul homme, accompagné par le bruit du filet qui tremble. C’est tout ça, Jonas. Un peu de football. Beaucoup d’amour.
Crédit photo : AFP PHOTO / FRANCISCO LEONG