[Premier League] Sheffield, le joujou d’un prince saoudien ?

Après douze années de purgatoire, Sheffield United a fait cette saison son retour en Premier League et vient tout juste de passer dans les mains d’un prince saoudien. Une longue procédure judiciaire permet au prince Abdullah d’acheter le club pour une bouchée de pain. Tout commence il y a six ans, alors que le club évolue en troisième division anglaise.

Un club historique dans les méandres du football anglais

Malgré son actuelle figure de petit poucet de Premier League, Sheffield United n’est pas un petit club en Angleterre. Le club fut l’un des premiers champions de l’histoire du football anglais, en 1898. Au début du XXème siècle, il a même remporté quatre FA Cup. Vous l’avez néanmoins compris : les heures de gloire de ce club du Yorkshire, basé d’une ville qui a longtemps vécu de la sidérurgie et de l’industrie, sont belles et bien passées.

Pendant douze ans, Sheffield United a erré entre Championship et League One (troisième division anglaise), plongé dans une léthargie qui prend parfois les clubs historiques, et les entraîne au plus bas. Mais Sheffield a finalement su remonter, et tout commence en 2013. Les Blades évoluaient alors en League One, échouant de peu à prendre une des deux premières places donnant un ticket pour le Championship.

Abdullah achète 50% du club pour… un euro

Kevin McCabe est alors le président du club depuis 2006. L’homme d’affaires anglais est un enfant de la ville qui a connu la terrible crise de désindustrialisation des années 1970 et 1980. Supporter de Sheffield depuis les années 1950, il rêve de redonner ses lettres de noblesse au club. Pour cela, il a besoin d’argent et d’un riche investisseur pour remonter en Premier League. Il décide alors de vendre 50% du club au prince saoudien Abdullah en 2013 pour un montant symbolique d’une livre sterling (à peine plus d’un euro).

Le prince Abdullah fait partie de la famille royale d’Arabie Saoudite, et s’intéresse de près au sport. Fan de football américain, il est aussi un connaisseur de football. Il a notamment dirigé le club d’Al-Hilal entre 2002 et 2004. Investir dans un club européen pour une misérable livre sterling semble donc être une excellente affaire pour le prince, mais quel est l’intérêt pour le propriétaire Kevin McCabe ?

Des clauses en tout genre

Evidemment, McCabe a demandé des garanties au prince Abdullah. Celui-ci avait pour obligation dans les trois ans d’investir 10 millions de livres sterling. Le deal va même un peu plus loin. Une clause avait été insérée dans le contrat de vente pour permettre à l’investisseur saoudien d’acheter les 50% de parts de McCabe pour 5 millions de livres sterling supplémentaires. Une fois que le prince obtenait 75% des parts, celui-ci se retrouvait obligé d’acheter les propriétés immobilières du club (avec notamment le stade et le terrain d’entraînement), évalués entre 35 et 40 millions de livres.

Seulement voilà, la belle entente entre McCabe et le prince Abdullah n’a pas duré longtemps. Selon des proches du prince, interrogés par The Guardian, la guerre entre les deux hommes a commencé en 2017. Le camp saoudien estimait alors que McCabe, président du club, avait ignoré leurs conseils sur plusieurs points. Le prince avait ainsi fait appel à des consultants pour améliorer la gestion du club. Il souhaitait également améliorer le réseau de scouts à l’échelle européenne : des propositions que McCabe aurait refusées.

Achètera ou n’achètera pas ?

A cette même époque, le club remporte la League One et monte en Championship. En interne, les choses s’agitent. Le prince Abbdullah craint que McCabe ne s’intéresse qu’à son argent. De son côté, le businessman anglais s’inquiète effectivement de l’argent d’Abdullah. Si le prince a investi au total 18 millions, est-il prêt à investir les 5 millions de rachat, plus les 40 millions obligatoires d’immobilier ?

En février 2018, McCabe demande donc à Abdullah… d’acheter le club. Le président est persuadé que le Saoudien n’a pas les fonds nécessaires (donc les 45 millions) pour acheter le club. Est-ce le cas ? Peut-être. Une chose est sûre : le prince n’a pas l’intention de payer les 40 millions pour l’immobilier dans l’immédiat. Il accepte en effet la proposition de McCabe… Mais vend dans le même temps 80% de sa moitié du club à une société sœur.

Le juge donne raison au prince saoudien

L’idée est simple : le prince rachète les 50% de McCabe, auxquels se rajoutent les 10% qu’il lui reste – les 40% derniers étant donc en possession d’une société sœur. Mais en tant que personne, Abdullah ne possède que 60% du club – moins que les 75% obligatoires pour lever l’achat ! McCabe comprend l’embrouille et refuse de vendre ses actions : l’affaire est donc portée aux tribunaux il y a dix-huit mois.

Mais dans le même temps, l’équipe de football poursuit son bout de chemin et monte en Premier League. Droits télé, affluence au stade, valeurs des joueurs : tout explose, mais Abdullah a toujours la possibilité d’acheter le club pour 5 millions ! Les deux camps s’affrontent donc de manière brutale. Les Saoudiens accusent McCabe d’avoir voulu vendre le club à un investisseur américain dans leur dos. De son côté, l’Anglais accuse Abdullah de se financer de manière illicite, parlant notamment d’un créancier de la famille d’Oussama Ben Laden.

Le juge a finalement tranché début septembre, et donné raison à Abdullah. McCabe doit donc vendre Sheffield United au prince, pour la modeste somme de 5 millions de livres sterling. Le club est actuellement valorisé à plus de 100 millions : la plus-value est déjà réussie pour Abdullah. Actuellement 15e de Premier League après cinq matchs (avec un excellent match nul contre Chelsea 2-2 à Stamford Bridge), Sheffield United devrait maintenant pouvoir se concentrer sur une mission sportive, tout aussi importante que l’imbroglio juridique pour l’avenir du club : un maintien en Premier League.

Alexandre Bouzillé

Crédit photo : Danny Lawson / PA Images / Icon Sport.

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