Toulouse broie du noir

Avec 10 défaites d’affilée, Antoine Kombouaré laisse le Toulouse Football Club dans un piteux état. Dernier de Ligue 1, le club de la ville rose va une nouvelle fois tenter de sauver sa place dans l’élite. Une situation qui illustre la morosité présente au sein du club depuis plusieurs années.

Ses conférences de presse sont rares, mais n’ont rien d’extraordinaire. Voilà comment résumer les apparitions publiques d’Olivier Sadran devant les médias. Ce lundi 6 janvier, le président du Toulouse Football Club, dernier de Ligue 1, s’est exprimé sur la situation de son équipe. « On a l’impression d’avoir déjà entendu cette conférence de presse. Au final, la seule phrase qui a retenu l’attention, c’est le dérapage sur Brice Taton. » décrypte Théo Faugère, qui a suivi le Téfécé pour la Dépêche du Midi de 2017 à fin 2019. Pourtant, Toulouse connaît une crise sans précédent. Avec 11 défaites en 13 rencontres (dont dix de suite, la pire série du club), les Violets ont touché le fond sous l’égide d’Antoine Kombouaré, qui vient d’être limogé. Denis Zanko, ancien directeur technique du centre de formation, a pris la relève.

Reste que le club de la ville rose est loin d’être largué sur le plan comptable. Bon dernier de Ligue 1, il n’est qu’à cinq points de la 18e place synonyme de barrage. Pourtant, la situation est plus inquiétante que celle vécue en 2016. À l’époque, Pascal Dupraz avait pris la tête de l’équipe le 1er mars, à 10 journées de la fin et avec 10 points de retard sur le 17e. « Quand Pascal Dupraz est arrivé, l’union sacrée avait été proclamée. Aujourd’hui, cela m’étonnerait que ce soit le cas. » décrypte Jean-Baptiste Jammes (plus connu sous le nom de JB), le fondateur du site LesViolets.Com. « La situation est bien pire à cause de ce qu’il se passe en dehors du terrain. » ajoute Théo Faugère. Ainsi, Matthieu Dossevi, l’un des cadres de l’équipe, préfère regarder le Clásico sur le banc de touche plutôt que ses coéquipiers lors d’un match de Coupe de la Ligue. De son côté, la direction enchaîne les boulettes au niveau de la communication et les tensions avec les ultras ont atteint leur point d’orgue.

« Olivier Sadran est un conservateur »

Mais tous ces problèmes ne datent pas d’hier. Le Téfécé, plongé dans un marasme depuis plusieurs années, meurt à petit feu. Selon Jean-Baptiste Jammes, le club s’est reposé sur ses acquis: « C’est dommageable car jusqu’au début des années 2010, il y avait des idées, des ambitions, un engouement autour du club. » À la fin des années 2000, Toulouse est une équipe capable de réaliser de gros coups. L’équipe se qualifie même pour les barrages de la Ligue des Champions en 2007. Au final, le club de la ville rose rejoint le ventre mou du championnat au début des années 2010. « À partir de là, Toulouse a commencé à faire des recrutements hasardeux en Russie, en Pologne… C’est le début de la descente aux enfers. » détaille le fondateur du site LesViolets. Ainsi, les saisons se suivent et se ressemblent. Le Téfécé ne fait plus vibrer ses supporteurs, qui demandent depuis plusieurs années la démission d’Olivier Sadran et Jean-François Soucasse, le directeur général du club. Les entraîneurs défilent (sept depuis 2015) mais rien ne change. Pour Jean-Baptise Jammes, le problème se trouve au sein de l’organigramme. « Olivier Sadran est un conservateur. Il travaille tout le temps avec les mêmes personnes. Je ne dis pas que c’est du copinage, mais il existe des affinités. ». « Cette année, le président a déjà actionné le levier de l’entraîneur. L’étape suivante, c’est d’avouer que le problème se trouve au sein de l’organigramme. C’est ce qui ronge le club aujourd’hui. » ajoute Théo Faugère.

La descente aux enfers du Toulouse Football Club coïncide aussi avec l’implication d’Olivier Sadran au sein du club. L’homme d’affaires a repris le TFC en 2001. Passionné par le football, il aime son club et sa ville. En deux ans, le club de la ville rose passe du National à la Ligue 1. Depuis, l’évolution du football l’a dégouté. « Il y a eu une grosse cassure après l’épisode Knysna. Il n’aime pas la tournure prise par le football, notamment au niveau des comportements » avance Jean-Baptiste Jammes. « Olivier Sadran est attaché au respect de certaines règles et traditions : ‘on ne se pique pas les pépites des centres de formation’ par exemple. Aujourd’hui, cet aspect du football est un jeu sans loi. Il n’a sans doute pas digéré l’affaire Todibo. » poursuit Théo Faugère. Mais ce dégoût est paradoxal. Le business model du club est basé sur la vente des joueurs issus du centre de formation. Le président a aussi profité du football pour agrandir sa société Newrest. Il a notamment tissé de bons liens avec le Qatar par l’intermédiaire de Nasser Al-Khelaifi, le président du PSG. La compagnie d’Olivier Sadran a grandi (en partie grâce au football), et ce dernier a de moins en moins de temps à consacrer à son club. « Son entreprise est cotée et lui rapporte beaucoup. À côté, le Téfécé est une PME. » résume Jean-Baptiste Jammes. Aujourd’hui, Olivier Sadran ne se cache plus : il cherche un repreneur. Mais le président l’a assuré – au grand dam des supporters – il ne s’échappera pas de ses responsabilités en cas de descente en Ligue 2.

Des supporters au bout du rouleau

Les relations entre les deux entités n’ont jamais été aussi tendues. Pour Théo Faugère, cette fracture est irréparable : « Les groupes ultras ne se sont jamais remis des altercations après le match TFC-Losc en 2018. Depuis, le débat n’a pas été renouvelé. » Cette saison, les incidents se sont multipliés. En octobre, la police a placé en garde à vue quatre ultras après une plainte déposée par le club. Face à Reims, une vingtaine d’individus ont tenté de monter en tribune présidentielle. La cible ? Olivier Sadran. En Coupe de France, des heurts ont éclaté entre certains supporters toulousains et la sécurité…« Il n’y a aucune communication avec les supporters. Olivier Sadran ne s’est pas ému lors des incidents contre Lille. Il faudrait un changement de comportement de la part de la direction, mais ils ne le feront jamais. » estime Jean-Baptiste Jammes.

La communication fait aussi défaut au club. S’il est très peu présent dans les médias nationaux, le club de la ville rose ne fait rien pour se mettre en avant. « Les relations avec la presse sont verrouillées. C’est contre-productif, le club n’a rien à perdre à s’ouvrir un peu plus. » assure Théo Faugère. Reste que La Dépêche du Midi (qui est aussi partenaire du club) a obtenu une interview exclusive du président après les incidents contre Reims. Un événement qui avait fait grincer des dents le reste des journalistes présents. « Au quotidien, La Dépêche n’a pas de relation particulière avec le club. Il est tout aussi compliqué d’obtenir une interview. » nuance Théo Faugère. Selon Jean-Baptiste Jammes, le club a toujours méprisé la presse, qu’elle soit locale ou nationale. « Olivier Sadran n’aime pas parler, Jean-François Soucasse n’a pas de charisme, Pantxi Siriex n’a jamais parlé : parler aux journalistes, ça les emmerde. »

Le centre de formation est finalement le seul petit rayon de soleil au-dessus de la Garonne. En octobre, le rapport annuel de l’Observatoire du Football (CIES) classait le Téfécé au sixième rang des clubs formateurs en France, et au dix-septième en Europe. Un savoir-faire présent depuis de nombreuses années. Etienne Capoue, Moussa Sissoko, Issa Diop ou encore Jean-Clair Todibo, tous sont passés par le centre de formation. Tous les noms cités ci-dessus – sauf Jean-Clair Todibo – ont été vendus à l’étranger à des bons prix. Aujourd’hui encore, le centre est plein de promesses, en témoigne le parcours des U19 en Gambardella l’an passé. Plusieurs jeunes se sont installés dans le groupe des 18 depuis le début de la saison. Bafodé Diakité est l’un d’entre eux. Le défenseur a été très bon lors de ses apparitions. « Aucun autre défenseur toulousain n’a livré de telles prestations. » observe Jean-Baptiste Jammes. Mais pour Théo Faugère, les joueurs formés ne sont pas tous lancés dans de bonnes conditions. « Les talents du centre ne sont pas encore prêts pour diriger l’équipe. Confier la défense centrale à Diakité, ce n’est pas lui rendre service. » Autre exemple, celui de Mathieu Goncalves. Le défenseur toulousain a effectué ses débuts en L1 contre le PSG (0-4). Résultat : un contre son camp et un pénalty concédé. Avec Denis Zanko, nul doute que les jeunes continueront d’intégrer l’équipe première. « De toute façon, il faut que qu’ils jouent. Le business model du club repose sur la vente des joueurs formés. Si cela s’arrête, le Téfécé meurt. » conclut Jean-Baptiste Jammes.

Photo crédits : iconsport

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