Ce samedi aurait dû être un jour de derby de la Ruhr dans un stade bouillant. Hélas, pour cause de pandémie, le Mur jaune n’aura pas l’occasion de faire vibrer le Signal Iduna Park et Jean-Clair Todibo n’aura pas une nouvelle occasion de briller et de faire étalage de son talent aux yeux de l’Europe, pour le plus grand bonheur de Schalke 04. Présentation.
Un joueur au profil moderne
Milieu défensif de formation, reconverti défenseur central à la fin de sa formation au Toulouse FC, Jean-Clair Todibo possède toutes les caractéristiques des centraux nouvelles générations.
D’abord sur le plan physique, où Todibo est tout simplement impressionnant. Joueur puissant, rapide, explosif, doté d’une belle détente et très tonique, il s’inscrit sur ce plan dans la même veine que d’autres jeunes défenseurs, comme Dayot Upamecano ou Joe Gomez.
Dans les duels, Jean-Clair est extrêmement difficile à prendre à défaut, s’appuyant sur un palette complète avec ses qualités physiques, sa capacité à défendre debout et une belle qualité de tacle glissé. Agressif dans son jeu, il est aussi capable de belle interception, mettant sa vitesse au service d’un bon sens de l’anticipation.
Au niveau de ses caractéristiques techniques et tactiques, l’ancien toulousain est également dans l’air du temps. Il fait preuve d’énormément de personnalité dans ses choix de jeu. Très à l’aise balle au pied, il est capable de supporter et casser un pressing adverse par le dribble. Lorsqu’il s’agit de relancer, Jean-Clair ne se cache pas et prend ses responsabilités. Que ce soit par la conduite ou par la passe, il essaye toujours de faire progresser son équipe. Loin des centraux paralysés à l’idée d’attaquer l’espace libre devant eux, rapide balle au pied, Todibo est coutumier des déboulés pour avancer et venir fixer l’adversaire, bien aidé par sa très bonne conduite de balle. Dans son jeu de passe non plus il n’est pas timoré et n’hésite pas à chercher la transmission qui casse les lignes.
Mais le joueur prêté par le Barca a encore quelques lacunes. Essentiellement dans l’aspect tactique de son jeu défensif. Encore sujet aux sots de concentration et aux fautes de placement, le jeune français est quelque fois encore coupable d’erreurs défensives. Si ces grosses qualités physiques et de duel lui permettent souvent de se rattraper, certaines peuvent se révéler préjudiciables. Sa première exclusion avec Toulouse contre Guingamp vient, elle, d’une prise de risque excessive.
Les Lilas puis une histoire inachevée avec le TFC
Jean-Clair Todibo naît le 30 Décembre 1999 à Cayenne, mais c’est en région parisienne qu’il contrôle ses premiers ballons. A 6 ans, il rejoint le FC Les Lilas 93 en Seine-Saint-Denis. Décrit comme « un charmant garçon, respectueux » et « un énorme bosseur » par Bruno Coton-Pélagie (dans Le Parisien en janvier 2019), il laisse un bon souvenir du coté du 93 ou il fera sa formation jusqu’en 2016 et son départ pour la ville rose. Jean-Clair touche alors le rêve de devenir professionnel du doigt. Pourtant, six ans plus tôt, tout aurait pu s’arrêter lorsqu’il est renversé par une voiture en se rendant à son entraînement de Judo et doit stopper le sport durant une année. Première embûche surmontée.
C’est donc au TFC que le jeune guyanais signe après des essais au Havre, Nottingham Forest et Manchester United. Mais du coté de l’île du Ramier, son parcours ne ressemble pas une autoroute. On est même plus proche de la petite départementale mal entretenue. Arrivé à l’aube de la saison 2016/2017 en tant que U19 première année, sa première saison au TFC est compliqué. Labinocle81 (@lanimocle81 sur Twitter, grand spécialiste des équipes jeunes du Toulouse FC) se rappelle bien du passage de Todibo au centre de formation Toulousain : « Il a eu un début de saison très compliqué car il ne jouait pas beaucoup ». Jean-Clair finit cette première saison avec 9 titularisations, 7 entrées en jeu en U19 et une titularisation en réserve. La saison 2017/2018 sera bien plus positive. En U19, il est l’homme de base de son coach Jean-Christophe Debu. Titulaire et capitaine, il est titulaire 19 fois. Il prend aussi part au parcours en Gambardella jusqu’en quart de finale avec 5 titularisations. Décrit par Labinocle81 comme « largement au dessus du lot physiquement et techniquement », c’est logiquement que Denis Zanko (actuel entraîneur du TFC) fait appel à lui en réserve pour la fin de saison. Il y connaîtra 7 titularisations. Arrive alors la saison 2018/2019, celle de la révélation. Jean-Clair reprend avec les professionnels suite à sa belle saison passée et espère un contrat pro. Mais rien ne vient. « Zanko a mis son véto à une proposition rapide […] il le jugeait pas apte pour le haut niveau, à cause d’un mental défaillant » se souvient Labinocle81. Alain Casanova, convaincu par le joueur, le lance finalement en Ligue 1 lors de la deuxième journée contre Bordeaux au poste de défenseur central (alors qu’il n’a jamais joué ailleurs qu’au milieu durant sa formation toulousaine). Le jeune joueur s’impose immédiatement et ne sortira de l’équipe uniquement lorsque sa situation contractuelle deviendra intenable aux yeux de sa direction.
Mais comment expliquer une telle issue à son histoire en Haute-Garonne ? Comment un joueur avec de telles qualités peut-il débuter et jouer en Ligue 1 sans contrat professionnel aussi longtemps ? « Cette affaire est symptomatique d’un club d’amateur » assène Labinocle81, « c’est Casanova qui l’a imposé dans la prépa des pros et en a fait son titulaire. Mais la réaction du club est tellement longue […] première réunion avec JC et ses représentant fin septembre, première proposition contractuelle le 7 octobre !! ». Entre temps, de grands clubs européens (le Barca, la Juventus ou encore l’OL) ont flairé la bonne affaire et effectués des offres sans commune mesure avec celle du TFC. L’hallali est sonné pour le TFC, JC Todibo poursuivra sa carrière sous d’autres cieux.
Un passage blaugrana entre promesses et frustrations
C’est finalement le FC Barcelone que Jean-Clair choisit pour signer son premier contrat professionnel. Alors qu’il devait initialement rejoindre les culès à l’issue de la saison 2018/2019, ceux-ci l’achètent finalement dés janvier 2019 pour un million d’euro. Il signe jusqu’en 2023.
Todibo joue seulement deux matchs de championnats sur cette demi-saison. Mais rien de plus logique face à la concurrence d’internationaux confirmés tel que Pique, Lenglet ou Umtiti et après une ascension aussi fulgurante. Les échos des entraînements sont en plus positif, Todibo fait bonne impression en Catalogne. A l’orée de la saison actuelle, il est raisonnable de penser que le jeune français va prendre de l’importance dans la rotation, Umtiti étant toujours en délicatesse physique et le contingent de défenseurs centraux étant réduits. Mais, encore une fois, cela ne se passe pas comme prévu. Jean-Clair connaît quelques blessures et, bien que toujours dans le groupe quand il est disponible, il ne joue que 75 minutes en Liga (pour une titularisation contre Séville). Néanmoins, il découvre la Ligue des Champions à Giuseppe Meazza lors d’un dernier match sans enjeux pour le Barca, au sein d’une équipe remaniée. Face à un Inter jouant sa qualification et un duo Martinez-Lukaku étincelant, ce match a tout du traquenard. Mais le natif de Cayenne livre une prestation de très haut niveau, fait étalage de sa palette complète et écœure les nerazzuris. La fusée est lancée peut on se dire. Toujours bon, exemplaire, doté de grandes qualités, évoluant à un poste finalement assez peu pourvu, … les raisons de croire à la réussite du guyanais sont nombreuses. Mais pour la seconde fois de sa carrière, sa direction va perturber les plans de Jean-Clair Todibo. Il est en effet prêté à Schalke 04 avec un option d’achat de 25 millions lors du mercato hivernal 2020. Si sur le plan sportif un prêt pouvait faire sens, du fait du faible temps de jeu et du statut des joueurs devant lui dans la hiérarchie, l’option d’achat interroge. De là à penser que cette manœuvre est avant tout dicté par des nécessités financière et le besoin de liquidité du club, il n’y a qu’un pas.
Des débuts réussis en Allemagne…
C’est donc du coté de la Ruhr et de Schalke 04 que Jean-Clair évolue actuellement. Déjà son troisième club en un peu plus d’une saison et demi en professionnel. Cette forme d’instabilité ne semble pourtant pas le perturber et ses débuts en Allemagne sont très intéressants. Todibo semble monter crescendo dans son niveau de performance et reste, avant ce derby, sur deux matchs de très haut niveau face au Bayern Munich en Coupe et Hoffenheim en Bundesliga. Deux sorties où il a fait étalage de toute la panoplie d’un défenseur de très haut niveau : puissance, vitesse, défense debout, domination dans les duels, relances propres et tranchantes, résistance au pressing, projections offensives, maîtrise des airs et sens du placements. Ces deux derniers points marquent d’ailleurs une progression, le placement et le jeu aérien constituant jusqu’alors les principaux points faibles du joueurs. Au centre d’un défense à trois, Todibo ferait presque dès à présent office de patron de la défense des bleus et blancs après seulement 7 matchs. Le club songerait d’ailleurs déjà à lever l’option d’achat du jeune français.
…préambule d’une inévitable ascension ?
Que ce soit à Toulouse (« il avait une attitude très cool […] mais sur le terrain c’était un bosseur et un vrai bagarreur dans le bon sens. » pour Labinocle8), Barcelone (« Il est assez réservé […] mais très discipliné et à l’écoute. Et sur le terrain, à l’entraînement, il est assez imposant malgré sa timidité » selon Charel Mafoua, supporter barcelonais et responsable de Blaugrana Team) ou Schalke (dont le directeur sportif Jochen Schneider a récemment vanté son « charisme incroyablement positif »), le droitier est loué pour sa mentalité. Encore une case de coché pour le natif de Cayenne.
De plus en plus impressionnant match après match, Jean-Clair Todibo est indéniablement en phase de décollage.
Joueur aux qualités énormes, au très bon état d’esprit, avec une réelle faculté de résilience et une belle marge de progression, il semble sur le point d’exploser pour de bon aux yeux du football européen. Difficile d’imaginer sa carrière se dérouler loin du plus haut niveau européen, voire international. De quoi, peut-être, donner encore plus de regret à ceux qui n’ont pas totalement cru en lui du coté du Stadium et du Camp Nou dans les années qui viennent.