[PORTRAIT] Teji Savanier, comme à la maison

Attaché au Sud, Teji Savanier ? A peine… A 28 ans, le milieu de terrain a connu trois clubs professionnels dans sa carrière. Tous situés dans un rayon de 100 km autour de chez lui, Montpellier, sa ville. Né dans la cité héraultaise et d’origine gitane, il a rejoint le centre de formation du MHSC en U17, après plusieurs années dans les clubs des alentours. Mais la route qui mène au contrat pro est semée d’embûches et le petit Teji a pu le vérifier au cours de ses années passées sous le maillot montpelliérain.

Tombé dans une génération, n’ayons pas peur des mots, exceptionnelle, il connaît une progression linéaire dans l’ombre, notamment, de deux comètes : Younès Belhanda et Rémy Cabella, un an plus vieux que Savanier, illuminent cette cuvée 90-91. Preuve en est, il assiste du banc au sacre de ses coéquipiers en finale de la Gambardella 2009 face au FC Nantes de Koffi Djidji (Torino) et Lionel Carole (Strasbourg). Sur le terrain, El-Kaoutari, Stambouli, Belhanda ou encore Cabella posent, sans le savoir, les premiers jalons du titre de champion de France 2012. Emmenés par René Girard et épaulés par quelques anciens expérimentés (Bedimo, Utaka), les jeunes Montpelliérains réalisent un des plus beaux exploits du football français de ces dix dernières années et privent le PSG d’un premier titre sous QSI. Cette saison-là, les joueurs nés en 90-91 cumulent 93 matchs de Ligue 1. Pendant ce temps-là, Teji Savanier termine, à une centaine de kilomètres, sa première saison chez les professionnels, en Ligue 2. Un an plus tôt, en fin de contrat stagiaire, il avait été contraint de faire ses valises et de quitter, pour la première fois, son département. Direction Arles-Avignon, tout juste relégué après un passage éclair en Ligue 1 : un an, 20 points et trois petites victoires seulement.

Un repositionnement décisif

Une saison à l’échelon inférieur qui lui permet de débloquer son compteur buts chez les professionnels, face à Lens (3-0). Une réalisation dont il risque de se souvenir longtemps puisqu’en plus d’être sa première, elle a été inscrite de la tête. A ce jour, et après 34 buts en Ligue 1 et Ligue 2, c’est la seule fois que Savanier, du haut de son mètre 71, a marqué de la tête. Attaquant de formation, c’est à ce poste qu’il débute en Ligue 2 avec l’ACAA avant de, progressivement, descendre sur le terrain. D’abord milieu offensif puis milieu relayeur voire milieu défensif. Un rôle qui convient beaucoup mieux à ses qualités : agressivité à la récupération (parfois un peu trop) et surtout la vista pour organiser le jeu. Court ou long, Savanier est à l’aise pour distribuer et mettre ses coéquipiers dans les meilleures dispositions.

Après trois saisons dans le ventre mou (14e, 11e puis 13e), Arles-Avignon vit un exercice 2014-2015 des plus compliqués. Relégable à 33 reprises et sans discontinuer à partir de la 8e journée, le club provençal finit dernier et descend sportivement en National. 38 joueurs sont utilisés au cours de la saison, signe de l’instabilité générale qui règne au sein d’un effectif cosmopolite et hétérogène où on retrouve des champions de France (Niang, Bocaly), un champion d’Italie (Zebina) et deux vice-champions du monde (Givet, Chimbomba). De son côté, Teji Savanier est, avec le Sénégalais Ousmane N’Diaye, le joueur qui a disputé le plus de matchs avec 32 apparitions. L’occasion pour lui de faire découvrir au monde professionnel sa grande spécialité sur les coups de pied arrêtés. Lui, qui avait inscrit quatre buts, tous différents les uns des autres en trois saisons (une tête, un ciseau, une frappe de loin et un exploit individuel), va trouver la faille à trois reprises sur deux coups francs et un penalty. C’est le début d’une marque déposée par Teji Savanier et sa redoutable qualité de frappe : depuis le début de la saison 2014-2015, 29 de ses 30 buts en championnat l’ont été sur coups de pied arrêtés ou sur des frappes lointaines.

Les Crocos évitent la noyade

L’ACAA est finalement rétrogradé administrativement en CFA (aujourd’hui N2) et Teji Savanier signe libre à Nîmes, pour une saison. L’occasion de se rapprocher encore un peu plus de chez lui, à Montpellier. Mais le petit milieu de terrain, qui vient de vivre une année galère sportivement avec Arles-Avignon, sait qu’une nouvelle saison compliquée l’attend en Ligue 2. Impliqué dans un scandale de match truqué, le Nîmes Olympique, initialement rétrogradé en National avant d’être repêché, débute l’exercice 2015-2016 avec huit points de pénalité. Le club gardois, qui a terminé avec, respectivement, 6 et 4 points d’avance sur le premier relégable lors des deux saisons précédentes, fait face à un obstacle de taille. Dans ce contexte difficile, Teji Savanier prend ses marques et dispute 27 rencontres de championnat (3 buts). Porté par un état d’esprit exceptionnel, les Crocos nîmois réussissent l’exploit monumental de se maintenir et terminent même à la 14e place. Pourtant, la saison avait très mal commencé : aucune victoire lors des huit premières journées, un écart avec le premier non-relégable qui grimpe jusqu’à 11 points et qui était encore de dix longueurs à la trêve. Dernier jusqu’à la 21e journée, les Gardois entament ensuite une spectaculaire remontée. Meilleure équipe de Ligue 2 entre la 20e et la 36e journée, les hommes de Bernard Blaquart, arrivé en cours de saison, marquent les esprits. Le nouveau Nîmes est arrivé et Teji Savanier fait partie de ses fers de lance.

La saison suivante confirme le renouveau du NO. Après une phase aller en demi-teinte, bouclée à la 9e place, les Nîmois refont le coup d’une seconde partie de saison en boulet de canon. Briançon, Savanier, Ripart et toute la bande présentent le meilleur bilan de la phase retour. A l’heure de se déplacer à Laval lors de la dernière journée, les Gardois sont sixièmes mais tout est encore possible. Mathématiquement, la montée est toujours jouable. Ils peuvent même encore terminer champion de Ligue 2. Malgré son succès en Mayenne (1-2), grâce à un penalty de Teji Savanier en fin de match, le Nîmes Olympique voit les cinq premiers s’imposer et échoue au sixième rang. Individuellement, cette saison est celle qui lui permet d’exploser aux yeux de la France du football. Si son nom reste encore inconnu du grand public, les observateurs n’ont d’yeux que pour ce petit milieu de terrain qui semble avoir de l’embonpoint au premier coup d’œil. Un problème qui ne date visiblement pas d’hier et qu’il s’est efforcé de corriger avec le temps « C’était un petit gros, expliquait, au Parisien, Hugo Rodriguez, son ancien coéquipier au centre de formation. Il mangeait beaucoup de saloperies. Aujourd’hui, il se limite à un petit plaisir après le match. Il est beaucoup plus affûté qu’à l’époque. »

Le maître des coups de pied arrêtés

Distributeur hors pair, il rayonne dans le 4-4-2 (ou 4-2-4) mis en place par Bernard Blaquart. Surtout, sur le plan statistique, il réalise sa saison la plus aboutie : 8 buts inscrits mais également 13 passes décisives, qui lui valent le titre de meilleur passeur de Ligue 2. Chiffre assez incroyable, sur ses 13 assists, Savanier en a réalisé 12 (!) sur coups de pied arrêtés. Et comme les hommes mentent mais pas les chiffres, pour reprendre une phrase d’un célèbre poète des temps modernes, il suffit de regarder ses destinataires préférés pour retrouver les trois hommes forts d’un Nîmes Olympique qui n’en finit plus de marquer son histoire. Auteur de quatre buts chacun sur des passes décisives de Savanier, Renaud Ripart et Anthony Briançon représentent parfaitement le nouveau visage d’un club qui souhaite tourner la page d’un passé douloureux pour se concentrer sur l’avenir. Briançon est d’ailleurs, comme Savanier, un joueur qui a su saisir sa seconde chance. Non conservé par l’Olympique Lyonnais à l’issue de sa formation, l’Avignonnais a profité de la main tendue par Nîmes pour s’imposer comme un bon joueur de Ligue 2 puis un joueur solide de Ligue 1.

Fort de deux saisons riches en émotions, le groupe nîmois tient son Graal en 2017/2018 avec une montée parmi l’élite qui ne doit rien à personne. Renforcé par quelques jeunes pousses aux dents longues (Boscagli, Bozok, Del Castillo) mais composé en grande partie de joueurs présents depuis quelques années, il gère mieux son début de saison et se retrouve sur le podium sans discontinuer à partir de la 13e journée. Comme lors de l’exercice précédent, Teji Savanier est le chef d’orchestre, le meneur de jeu reculé et le garant de l’équilibre de l’équipe. Moins influent statistiquement (4 buts, 8 passes décisives), il l’est peut-être encore plus que la saison précédente au niveau du jeu. Tous les ballons passent par lui, il est la véritable plaque tournante. Seul petit bémol, il est très caractériel, pour ne pas dire pire, et cela se ressent sur les feuilles de match. En trois saisons de Ligue 2 sous le maillot croco, il reçoit la bagatelle de 30 cartons jaunes et deux rouges. Malgré tout, il est, fort logiquement, récompensé par une présence dans l’équipe type de la Ligue 2 aux trophées UNFP. Une juste récompense qui aurait pu (dû ?) également intervenir un an plus tôt.

« Couille » explose en Ligue 1

Le 11 août 2018, sept ans après son départ de Montpellier par la petite porte, Teji Savanier fait enfin ses débuts en Ligue 1. Mais comme souvent depuis ses débuts dans le football, il doit enjamber des difficultés avant de s’imposer et de faire ses preuves. La première qui lui fait face en Ligue 1 témoigne de ses quelques lacunes au niveau du comportement qu’il est nécessaire de gommer si on souhaite faire carrière. Lors de la 4e journée, il vit, d’abord, un grand bonheur avec son premier but parmi l’élite : un penalty qui permet à sa formation d’égaliser à 2-2 face au PSG après avoir été mené de deux buts. Mais le champion en titre parisien s’impose finalement 4-2 et Teji Savanier reçoit un carton rouge pour une grosse faute volontaire et méchante sur Kylian Mbappé. Sanctionné très (trop ?) sévèrement de cinq matchs de suspension, il manque ses retrouvailles avec son club formateur et, surtout, l’occasion de fouler la pelouse de la Mosson lors d’un match officiel en championnat. Très certainement déçu, il assiste des tribunes à la lourde défaite des siens face à Montpellier (3-0).

De retour quelques semaines plus tard, celui qui est surnommé « Couille » par ses coéquipiers de l’époque éclabousse la Ligue 1 de son talent. Meilleur passeur du championnat avec 13 caviars (dont 10 sur CPA), comme en 2016-2017, il est également nommé au trophée du plus beau but de la saison grâce à un bijou de près de 50 mètres face à Dijon. Il termine finalement deuxième aux votes du public. Mais l’essentiel est ailleurs. Si Nîmes finit la saison à la neuvième place, c’est, en partie, grâce à lui. Comme lors des saisons précédentes, il est le véritable dépositaire du jeu nîmois, où il fait preuve d’une grosse complémentarité avec Jordan Ferri. Sauf qu’à l’étage au-dessus, cela se voit encore plus et ses prestations ne peuvent plus passer inaperçues. Des clubs plus huppés se bousculent au portillon pour tenter d’attirer ce petit milieu terrain avec un volume de jeu énorme. « Techniquement, il élève le niveau de jeu de l’équipe, expliquait, au Monde, Jérôme Arpinon, entraîneur du Nîmes Olympique. C’est quelqu’un de très aimé, toujours de bonne humeur, mais c’est aussi un gros compétiteur. En dehors du terrain, il est très humble. Il est resté celui qu’il est depuis des années. »

Teji casanier

Si Lyon a fait partie des formations intéressées, Teji Savanier a dû refuser une proposition du Milan AC. Oui, car Savanier est casanier. Et les sirènes européennes ne pouvaient lui faire changer d’avis. Maintenant qu’il avait prouvé au plus haut niveau français qu’il avait le niveau pour évoluer dans son club, dans sa ville, il n’était plus question d’aucune autre destination. C’était écrit, le petit Teji de la cité Gély allait rentrer chez lui, neuf ans après en être parti. Le fruit d’une volonté réciproque : Savanier voulait rejouer chez lui et le club voulait récupérer ce joueur formé au club qu’il avait laissé libre il y a huit ans. Tellement attaché à ses racines, il continuait d’habiter Montpellier, même en jouant à Nîmes. Dans son quartier, aussi, ce retour à la maison était attendu. La preuve, dix jours après la signature de son contrat avec le MHSC, une fresque géante à son effigie était peinte sur les murs de la cité Gély.

Mais, là encore, tout n’a pas été simple pour ses débuts. Acheté pour une dizaine de millions d’euros, au grand dam des supporters nîmois qui voyaient leur joyau partir pour le grand rival, il se blesse assez sévèrement au cours de la préparation. Bilan : plus de deux mois d’absence et des retrouvailles officielles reportées avec Montpellier. Elles interviennent finalement le 19 octobre dernier, avec quelques minutes disputées sur la pelouse de Reims (1-0). Une semaine plus tard, Teji Savanier réalise, enfin, un de ses rêves : fouler la pelouse du stade de la Mosson chez les professionnels. Et ce, plus de douze ans après avoir signé sa première licence avec le club héraultais. Il n’a besoin que de trois titularisations pour faire trembler les filets adverses, une frappe lointaine du pied gauche face à Toulouse. Nul besoin d’être dans sa tête pour deviner la joie qui l’anime à ce moment-là. Elle est parfaitement lisible sur le grand sourire dessiné sur son visage au moment de sa célébration.

Depuis, Savanier compte six buts et deux passes décisives sous le maillot montpelliérain en Ligue 1. Son influence est de plus en plus grande sur le jeu de son équipe. Il représente, avec Andy Delort, un autre Héraultais de retour aux sources, le visage du nouveau Montpellier. Pour le plus grand bonheur des supporters pailladins et de la cité Gély.

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