Enzo Scifo, numéro 10 dans l’ombre

Les années 80 furent riches en meneurs de jeu. Chaque sélection avait son leader, qui dirigeait le rythme des rencontres à coups de baguette magique. Enzo Scifo fait partie de ces joueurs qui rendent de nombreux fans nostalgiques. Considéré comme l’un des meilleurs joueurs belges de l’histoire, le numéro 10 n’a pourtant pas su s’élever au niveau des plus grands.  

25 juin 1986. 115 000 spectateurs sont réunis au Stade Azteca pour assister à une demi-finale de légende opposant l’Argentine à la Belgique. Trois jours sont passés depuis la main de Dieu, qui sauva l’Argentine du piège anglais. Diego Armando Maradona est redescendu sur terre. Pour mieux impressionner le monde humain. Seul, El Pibe de Oro anéantit les espoirs belges et propulse son pays en finale de Coupe du monde. Durant 90 minutes, le numéro 10 se réinvente et se multiplie sur le terrain. Surtout, il est à la conclusion du premier but argentin. Quant au second, les images parlent bien plus que les mots.

Les Diables Rouges, pourtant portés par une flopée de joueurs talentueux (Jean-Marie Pfaff, Eric Gerets, Franky Vercauteren), ne peuvent que s’incliner face au génie argentin. De cette équipe ressort un jeune milieu de 20 ans qui a marqué les esprits sur son côté droit. Numéro 8 sur le dos, numéro 10 dans l’âme (qu’il finira par porter) : Enzo Scifo. Au terme du Mondial, le Belge est élu meilleur jeune joueur de la compétition avec deux buts à son compteur. «La plus belle des quatre», selon l’intéressé, qui fait partie des trois joueurs belges à avoir disputé quatre Coupe du monde.

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Convoité par de grands clubs européens après le Mondial, Scifo quitte Anderlecht (son premier club) et sa terre natale en 1987 pour retrouver celle de ses parents : l’Italie et plus précisément l’Inter Milan. Comme les grands meneurs de jeu des années 80, le Belge se caractérise déjà par une habilité et un sens du jeu supérieur à la moyenne. Les attentes autour d’Enzo Scifo sont grandes. Le transfert est commenté par tous, y compris par l’un des meilleurs numéros 10 de l’histoire : Michel Platini. «C’est le seul joueur européen qui peut se prévaloir d’être mon héritier», estimait alors le Français. La passation de pouvoir est en marche.

Scifo, le «Petit Pelé» de Louvière

Mais la fusion ne se passe pas comme prévu. Enzo Scifo est sur courant alternatif lors de sa première saison. L’Inter finit à une décevante 5e place. Auteur de bons débuts, le Belge est ensuite miné par les blessures et une ambiance de vestiaire malsaine. Giovanni Trapattoni ne lui fait pas confiance. Freiné par cette contre-performance, il quitte l’Inter, et ne portera plus jamais les couleurs bleu et noir. Le milieu offensif décide alors de poser ses bagages sur les bords de la Garonne, à Bordeaux. Mais cette expérience en France se solde par un nouvel échec. Malgré quelques coups d’éclat, Enzo Scifo déçoit. Au sein d’un vestiaire fracturé, le meneur de jeu n’arrive pas à s’épanouir. En deux ans, le Diable Rouge est passé de future star du football à espoir déchu. Une chose est notamment pointée à plusieurs reprises : son manque de caractère sur et en dehors du terrain.

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Pourtant, Enzo Scifo – Vincenzo de son prénom – n’est pas arrivé à l’Inter Milan par hasard. Le natif de Louvière a fait le bonheur d’Anderlecht durant quatre ans. L’histoire d’amour commence le 17 décembre 1983. Quelques mois après avoir signé au club, Scifo dispute son premier match professionnel et inscrit par la même occasion son premier but. S’ensuivent des prestations qui impressionnent. À seulement 18 ans, le jeune meneur de jeu finit soulier d’or de la saison 83/84. Son club atteint même la finale de la Coupe UEFA, mais s’incline aux tirs au but contre Tottenham. Qu’importe, Anderlecht, mais aussi la Belgique entière, pense avoir trouvé le successeur de Paul Van Himst.

Issu d’une famille italienne, Enzo Scifo naît à Louvière en 1966. Il rejoint le club de la ville après sa septième bougie. Et y forge très vite sa légende. Il se voit attribuer le surnom de «Petit Pelé» grâce à ses 432 buts en quatre saisons. Si l’image du numéro 10 est souvent assimilée au plaisir, l’enjeu est bien plus important pour le futur Diable Rouge. Pour lui, le football n’est pas qu’une affaire de plaisir. Issu d’une famille ouvrière, Enzo Scifo souhaite faire mieux que son père, qui travaille dans les mines : «J’ai vite compris que le football était le seul talent qui m’offrirait une vie meilleure que celle de mon père. Tous les soirs, il nous racontait sa journée et ce qui semblait ressembler à l’enfer : la boue, le danger, le travail à genoux, loin du ciel…»

Guy Roux, l’homme de la situation

En 1989, la donne a changé. Enzo Scifo n’a que 23 ans mais doit désormais confirmer ses débuts prometteurs. Il décide alors de rejoindre une institution grandissante : l’AJ Auxerre de Guy Roux, qui cherche un meneur de jeu pour appuyer son trio d’attaque. L’entraîneur agit comme un père au sein du club bourguignon. Il est réputé pour ses méthodes de travail strictes, mais aussi sa formation des jeunes joueurs. À l’époque, Eric Cantona et Basile Boli sont déjà passés dans les bras de Guy Roux. La suite de leur carrière parle pour eux. Sur le papier, le coach français est l’homme dont avait besoin Scifo. 

La première saison du Belge est un véritable succès. Auxerre termine 6e de Ligue 1 et atteint les quarts de finale de la Coupe UEFA. Enzo Scifo inscrit lui 11 buts et est élu meilleur joueur étranger du championnat. Son entente avec ses trois attaquants est remarquée. Le natif de Louvière arrive en Italie gonflé à bloc pour la Coupe du monde 1990. Au sommet de son art, Scifo porte son équipe lors de la phase de poules. Il inscrit notamment un but exceptionnel face à l’Uruguay, en décrochant une frappe du pied droit aux 30 mètres qui termine dans le petit filet du portier uruguayen.

En huitièmes de finale, l’Angleterre de Chris Waddle se dresse face aux Diables Rouges. Ces derniers vivent l’une des soirées les plus tristes de la sélection. Enzo Scifo et Jan Ceulemans frappent tous les deux le poteau. Les Belges se font finalement crucifier à la dernière minute sur une volée de David Platt. La sélection Belge vit l’une des plus grandes déceptions de son histoire, mais Scifo ressort grandi de cette riche saison. Il retrouve la Bourgogne pour une saison supplémentaire et épate à nouveau la Ligue 1 de son talent en inscrivant 14 buts, dont un triplé face à Sochaux. Auxerre termine à la 3e place, synonyme de qualification en Coupe UEFA.

Retour éphémère en Italie

L’aventure française se termine pour le Belge au terme de sa deuxième saison avec Auxerre. Enzo Scifo est déterminé à retenter sa chance à l’Inter, avec qui il vient tout juste de signer un nouveau contrat. Mais les Nerazzurri ont déjà atteint leur quota d’étrangers. Le meneur part au bras de fer pour ne pas être prêté. Un autre club italien – le Torino – rachète finalement son contrat. Il se retrouve au sein d’une équipe attrayante et atteint la finale de la Coupe UEFA 1992. Mais le Torino s’incline de justesse face à l’Ajax de Dennis Bergkamp (2-2, 0-0).

En proie à des difficultés financières, le club turinois doit se séparer de Scifo en 1993. Ce dernier quitte l’Italie amer : «Ils ne m’ont jamais compris. Le manager qui m’a acheté devait créer une équipe autour de moi. Ce n’était pas à moi de m’adapter.» Même son de cloche du côté d’Emiliano Mondonico, le manager du Torino, qui ne regrette pas le Diable Rouge : «Il n’a jamais fait de réelles différences. Il était bon quand l’équipe jouait bien, mais disparaissait lorsque ses coéquipiers étaient en difficulté. Cela montre un manque de personnalité.»

Enzo Scifo est de nouveau tenté par le championnat français et un autre entraîneur qui construit sa renommée : Arsène Wenger. Le coach l’attire à Monaco, où il évoluera pendant quatre ans. Il y gagne une Ligue 1 en 1997 et atteint les demi-finales de la Ligue des champions en 1994. Ses Coupes du monde 94 et 98 sont moins remarquées que les deux premières.  En 1997, le Diable Rouge rejoint le club où tout a commencé : Anderlecht. Miné par des blessures, le Petit Pelé de Louvière finira sa carrière sur la pente descendante, mais reste le footballeur belge phare d’une époque où les meneurs de jeu étaient rois.

Crédit photo : Icon Sport

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