Les matches se suivent et se ressemblent en première division portugaise : une équipe X a 60% de possession de balle, voit dix de ses tirs cadrés, ses expected goals sont de 2,5. Face à elle, une équipe Y a donc 40% de possession de balle, a tiré trois fois au but, ses expected goals frôlent le niveau de mer. Le bon sens voudrait donc que l’équipe X s’impose, pas forcément largement, mais s’impose. Toutefois, c’est l’équipe Y qui va quasiment à chaque fois gagner le match. Certains crient dès lors à l’immérité, au scandale, voire à la mort du football. Effectivement, il semble que si tout le monde ne se met à qu’à privilégier la contre-attaque comme plan de jeu, le football sera particulièrement ennuyant et le match nul la norme. Pourquoi alors ce phénomène en Liga Nos ? D’où vient-il ? Va-t-il perdurer dans le temps et surtout va-t-il se généraliser ?
La victoire lors de l’Euro 2016, précurseure du jeu de contre-attaque systémique au Portugal
D’abord, une explication de la justification de l’adjectif « systémique » accolé à « jeu de contre-attaque » est bienvenue. Ce style de jeu est en effet commun à la majorité des équipes du championnat portugais en dehors des quatre premiers au classement (Porto, Benfica, Braga et Sporting). Il semble alors possible d’affirmer qu’il y a véritablement un système qui cause la quasi-généralisation du jeu de contre-attaque en Liga Nos.
Vous l’aurez compris au sous-titre, cette mode à la contre-attaque nous vient tout droit de l’Euro 2016 et de la victoire de la sélection lusitanienne dont le jeu était caractérisé par le fait de ne pas se découvrir puis de construire rapidement dès la récupération du ballon en vue d’arriver le plus vite possible dans le camp adverse. L’on connaît la réussite de ce plan de jeu lors de cette compétition, ce qui lui a valu d’être adopté par certaines équipes au pays, avec plus ou moins de réussite. Forcément, il ne suffit pas de mettre en place un double-pivot pour avoir un double-pivot William Carvalho-Adrien Silva et de jouer en 4-4-2 avec deux ailiers plutôt axiaux pour gagner (surtout en alignant des ailiers qui ont l’habitude de manger la ligne, n’est-ce pas messieurs du Nacional da Madeira ?). Ainsi, sur cette saison, si l’on prend l’ensemble des onze-types des équipes de Liga Nos, sur dix-huit équipes, onze jouent avec deux pointes (soit une basse et une haute comme Portimonense qui joue à deux pointes depuis le départ de Nakajima, soit une plus mobile et une qui joue plus en déviation comme Belenenses). Parmi ces onze équipes, neuf jouent par contre-attaque et sur les sept équipes restantes, quatre jouent de cette façon. On compte donc treize équipes sur les dix-huit au total, c’est dire l’ampleur du phénomène dans le championnat portugais.
La victoire de l’équipe de France en Coupe du Monde l’été dernier dont le jeu était somme toute basé sur les mêmes fondements n’a fait qu’appuyer cette tendance. Moreirense, hype actuelle du championnat essaie de reproduire d’ailleurs au maximum ce qu’a mis en place Didier Deschamps avec son équipe championne du monde. Fábio Pacheco et Neto forment un double-pivot créatif qui ratisse large. Les joueurs de côté, Heriberto Tavares et Arsénio, sont positionnés de manière asymétrique. Enfin, David Texeira est le Giroud du club alors que Chiquinho joue le rôle de Griezmann.
Les chiffres parlent pour la contre-attaque
Statistiquement, les pourcentages de victoires des équipes dont le plan de jeu est basé sur le contre sont vraiment impressionnants, presque invraisemblables. Tant que Guardiola s’arracherait les derniers cheveux qu’il lui reste étant donné que, hors quatre premiers, avoir la possession condamne presque fatalement à perdre. Si l’on prend l’exemple de la 23ème journée de championnat composée de neuf matches, on compte deux victoires pour les équipes ayant la possession (en l’occurrence, Benfica et Porto), trois matches nuls (profitant à l’équipe la plus faible sur le papier au vu de la physionomie du match) et quatre défaites. Surtout, parmi les quatre équipes qui ont perdu en ayant le contrôle du ballon, ils disposaient d’une possession de balle de 60,5% en moyenne. La même corrélation est constatable une semaine plus tôt, à la 22ème journée avec quatre victoires (dont Porto, Benfica et le Sporting), un match nul (profitant encore une fois à l’équipe qui s’est faite dominer : Chaves) et quatre défaites malgré une possession de 60,75% !
En raison de cela, l’on retrouve des équipes qui se font avoir week-end après week-end en ayant une possession de balle importante mais en sous-performant. Rio Ave en est un exemple. Avec la bagatelle d’une moyenne de 58% de possession, le club n’en reste pas moins seulement neuvième de D1 portugaise en perdant presque les trois-quarts des matches joués marqués par une domination du ballon. De même Feirense, dernier et évidemment relégable, qui joue tout de même avec une moyenne de 56% de possession mais qui prend souvent une leçon de réalisme à toutes les journées.
Un phénomène qui va contaminer les plus réfractaires ?
Deux théories (même si le terme de « théorie » est peut-être un peu fort) s’opposent sur cette problématique : celle qui affirme que oui, celle qui affirme que non. Compliqué de se prononcer en réalité puisque l’on voit mal comment les très grosses écuries du championnat pourraient gagner des matches si elles ne se forcent pas à prendre l’initiative. Toutefois, il semble que oui, le jeu de contre-attaque est une recette efficace pour le reste des équipes de Liga Nos. Prenons l’exemple du Vitória Guimarães. Après plusieurs années où le club avait les armes pour jouer l’Europe, il stagnait dans le ventre mou frustrant tous les observateurs tant il était évident que cette équipe pouvait faire beaucoup mieux. Consciente de ses armes, elle n’hésitait à jouer vers l’avant face à des adversaires plus faibles sur le papier sans se soucier de potentielles largesses défensives. Résultat à cela : la perte de points presque bêtement contre des équipes qui jouaient le maintien ou qui n’aspiraient du moins à rien en championnat. C’est alors qu’il est arrivée sur son cheval blanc, Luís Castro, nouvel entraîneur du club débarqué cet été qui a fait voir la lumière au club. Bénéficiant certes d’un bon recrutement, il a en plus transformer la philosophie de jeu du club en l’axant sur l’attente et la construction rapide avec ballon. Voilà Guimarães sixième et indisposé à lâcher cette place (à noter que le club serait sans doute en cinquième position si la surprise Moreirense n’était pas là).
Difficile également d’insinuer une généralisation à une plus large échelle, à l’échelle du football en général, le jeu de position étant connu et reconnu par le monde actuellement. Un homme pourrait peut-être inverser la tendance : un certain Diego Simeone.
Crédit photo: MIGUEL RIOPA / AFP