Non, l’Atlético Madrid n’est plus « l’équipe du peuple »

Les Rojiblancos champions cette saison, plus qu’une fiction ? Très souvent sur le devant de la scène européenne et nationale, protagoniste des mercatos, l’Atletico n’est plus l’autre équipe de Madrid, celle des classes populaires. Il n’est plus l’enfant en difficulté par rapport à son royal voisin mais il est devenu une institution moderne, triomphante, une marque reconnue à l’internationale. « Ya no somos el equipo del pueblo » a récemment avoué Diego Simeone, entraîneur des Colchoneros : en effet, le club qu’il a trouvé lorsqu’il a signé en 2011 est aujourd’hui méconnaissable, et c’est bien grâce à lui.

EL EQUIPO DEL QUOI ?

C’est en 2014, avant une rencontre de Liga entre l’Atletico et le Barça, que Diego Simeone dit de ses joueurs qu’ils sont « el equipo del pueblo », l’équipe du peuple, par opposition au Barça, qui a de « meilleurs joueurs ». Lors de cette conférence de presse, il souligne l’importance du « travail en équipe » et de l’effort collectif, et rappelle que son groupe « ne dépend pas des individualités ». Le match se finit sur un 0-0, mais c’est bien l’équipe du Cholo qui remporte la Liga trois mois plus tard, accomplissant ainsi un exploit historique : rompre l’hégémonie Real-Barça, qui se partageaient le trophée domestique depuis 10 ans. Ce n’est alors pas le triomphe d’une addition de noms clinquants mais celui d’un vrai collectif qui a parfaitement assimilé les valeurs cholistas (l’effort, l’intensité, le sacrifice), propres à un entraîneur qui a su insuffler aux Juanfran, Godin, Koke, Gabi et autres Filipe Luis un véritable esprit d’équipe.

« L’équipe du peuple », c’est aussi un groupe adulé par ses supporters, qui ne manquaient pas d’exprimer leur soutien à chaque rencontre disputée au stade Vicente Calderón. L’enceinte, aujourd’hui détruite, a également participé au triomphe de « l’équipe du peuple ». Situé dans un quartier discret et populaire du sud de Madrid, radicalement opposé au Santiago Bernabéu, le colossal fief merengue du nord de Madrid, le bouillonnant stade de l’Atlético s’enflammait à chaque but des Rojiblancos, avant d’être remplacé par le stade actuel, symbole des mutations qu’a subies le club pour franchir un palier et pouvoir lutter coude-à-coude avec les plus grands clubs européens.

126 MILLIONS

« Nous n’avons pas les moyens, à l’inverse des clubs puissants [financièrement, ndlr], de dépenser 150 millions dans un joueur », déclarait Diego Simeone en juillet 2018, dans une interview accordée au site The Coaches’ Voice. Douze mois plus tard, le crack portugais Joao Felix (19 ans) débarque à Madrid en provenance de Benfica en échange d’un chèque de 126 millions d’euros, somme dont l’Atletico s’acquittera en plusieurs fois. En 2018 déjà, le club s’était offert les services du néo-champion du monde Thomas Lemar pour 70 millions d’euros. Pas mal pour la modeste « équipe du peuple », qui lutte comme elle peut contre ses richissimes adversaires. Une équipe humble, qui loge d’ailleurs dans une enceinte étincelante, l’imposant Wanda Metropolitano, dont les jeux de lumière et les écrans LG (800 au total) feraient pâlir le rustique Vicente Calderón et sa tribune ouest à cheval sur le périphérique madrilène.

ASSUMER SON NOUVEAU STATUT

Ironie mise à part, ces progrès sont rendus possibles par l’évident changement de statut des Colchoneros, initié par l’incontournable Cholo Simeone. Il suffit de remonter aux années 2000 pour se rendre compte de la métamorphose qu’a subie l’équipe sous l’égide du charismatique argentin : en 2000, l’Atletico joue en deuxième division et ne remonte en Liga qu’en 2002. Le premier titre n’arrive qu’en 2010 (!), année au cours de laquelle ils remportent la Ligue Europa et parviennent en finale de Coupe du Roi.

C’est donc véritablement avec Simeone, qui prend les rênes de l’équipe en 2011, que le club va changer d’envergure et rentrer dans une nouvelle dimension. El Cholo à l’Atletico, c’est sept trophées en huit saisons, dont une Liga héroïque en 2014, remportée lors de la dernière journée au Camp Nou, deux Ligue Europa et surtout deux finales de Ligue des champions en 3 ans, qui ont définitivement placé le club sur la carte des grosses écuries européennes. Finie « l’équipe du peuple » et ses moyens limités, place à l’Atletico Madrid nouvelle version : un stade ultramoderne au nom qui sent bon les billets, un logo épuré, de nouveaux centres d’entraînement, un renouvellement d’effectif onéreux ; bref, l’institution s’affirme financièrement et se doit désormais d’assumer son statut de grand club armé pour tout gagner.

Aujourd’hui, l’enfant rouge et blanc a donc grandi, et n’est plus ce fragile club du sud de Madrid qui se rappelait avec nostalgie ses succès d’antan, en attendant vainement les suivants. Si le surnom d’« El Pupas FC » (le FC Maudits), attribué à l’Atletico après un but encaissé dans les dernières secondes (ça ne vous rappelle rien ?) en finale de Coupe d’Europe 1974, est encore d’actualité (voir C1 2014, 2016), le surnom d’« équipe du peuple » n’est plus approprié à la situation actuelle du club madrilène. Désormais, l’Atletico est un grand d’Europe, fort de ses sept titres en huit saisons, de ses deux finales de Ligue des champions en trois ans, de son effectif renouvelé ainsi que de ses nouvelles infrastructures, à la hauteur de la réussite sportive du club depuis quelques années. Si, en 2011, à l’arrivée du Cholo, le club était économiquement frêle, si la Liga n’était qu’une hydre à deux têtes et si le Real et le Barça, juchés sur leur montagne d’or, semblaient hors de portée, le fait est qu’aujourd’hui, l’Atletico Madrid peut fièrement s’asseoir à la table des deux grands d’Espagne et leur disputer, chaque année, tous les trophées.

Crédits photo : Pierre-Philippe Marcou / AFP.

L’Atlético à la croisée des chemins

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