Mais qui a tué João Cancelo ?

Débarqué à Manchester City l’été dernier via l’un des deals les plus fumeux de l’année, celui qui avait fait souffler un vent de fraîcheur sur Turin la saison précédente semble avoir disparu des radars sur le sol anglais. Comment João Cancelo, le meilleur latéral de Serie A à la Juventus, a-t-il pu se perdre en arpentant le chemin qui devait le mener à être la nouvelle référence mondiale de son poste ?

Révélation d’un ambitieux

Si le Portugais a toujours connu le très haut niveau et ses exigences à travers ses expériences au Benfica, à Valence et à l’Inter, c’est un immense cap qui a été franchi lors de son unique saison avec la Juve, en 2018-19. Dans une équipe menée par un Max Allegri en bout de course et donc sans grande inspiration sur le plan offensif, le natif de Barreiro se rend vite indispensable et hermétique à la pression qui découle de l’ambition du club.

Disposant d’une palette technique lui permettant d’apporter bien plus à une équipe qu’un stéréotype du latéral moderne, Cancelo jaillit aussi bien dans son couloir qu’il n’attaque l’entrejeu pour faire exploser les blocs défensifs adverses. Sa qualité de centre régale autant les Cristiano Ronaldo et Mario Mandzukic que sa disponibilité ne soulage Miralem Pjanic.

Le meilleur de João Cancelo avec la Juventus (2018-2019)

Logiquement nommé meilleur latéral droit de Serie A 2018-19, il lui arrive par ailleurs d’occuper à quelques reprises le couloir gauche en l’absence d’Alex Sandro… et de s’y montrer presque plus dangereux. Même avec un mois de compétition manqué entre mi-décembre et mi-janvier suite à une blessure au ménisque, il est compliqué de trouver quoi que ce soit de négatif à souligner côté terrain. Si certaines lacunes défensives sont parfois pointées du doigt, leur importance reste insignifiante devant l’immense apport du joueur dans une équipe qui remet plus souvent son sort entre ses mains qu’elle ne pâtit de ses rares manquements.

Max le menacé et le raté Ajax

Homme providentiel des Bianconeri en championnat, Cancelo n’avait «plus qu’à» continuer sur sa lancée en Ligue des champions. Malheureusement, ce fut aussi le moment choisi par Allegri pour se rappeler que cette fois, la Juventus ne doit plus se rater, qu’un certain Cristiano Ronaldo a posé ses valises à Turin, et que le tirage Atlético a tout du mauvais plan. C’est donc dans un souci «d’équilibre défensif» et, reconnaissons-le, de gros coup de flippe à peine déguisé que Cancelo prend place sur le banc du Metropolitano. Ses coéquipiers s’inclinent 2-0.

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Un choix, qui, malgré un rôle d’artisan majeur de la remontada au match retour (3-0), reste en travers de la gorge du Portugais.  Une certaine tension s’installe définitivement entre Cancelo et Allegri, déjà pointé du doigt pour la pauvreté du jeu de son équipe. À raisons de quelques likes sur les réseaux critiquant le Mister italien, le n°20 turinois fait savoir que l’histoire d’un grand amour avec la Juve peut avoir lieu, mais pas avec Allegri. Si Cancelo s’est toujours défendu d’avoir soutenu les propos en question, personne n’est vraiment dupe. Alors chacun choisira son camp : fustiger le joueur qui n’a pas à s’élever au-dessus de sa condition, ou soutenir le joueur au rendement irréprochable… ou presque.

Passé l’écueil Atlético, la Juventus frôle la correctionnelle à Amsterdam (1-1). Un nouveau caviar de Cancelo pour Ronaldo, puis l’enfer. Le latéral signe sans doute sa prestation la plus épouvantable sous le maillot de la Juve. Le plus souvent en situation de devoir défendre, il se retrouve submergé par les offensives néerlandaises et se rate complètement sur l’égalisation de l’Ajax. Un concentré de toutes les faiblesses que l’on pouvait lui trouver, sur une rencontre des plus cruciales.

L’occasion idéale pour ses détracteurs de lui tomber dessus à coups d’accusations de manque d’investissement, de respect du club et de ses coéquipiers, et pour Allegri de remettre en cause son statut d’intouchable. Comme lors de plusieurs matches de fin de saison, Mattia De Sciglio le supplante et dispute le match retour contre l’Ajax. João Cancelo est relégué à un rôle de dynamiteur de la dernière demi-heure.

Cher Fabio

Avec cette fin de saison marquée par la relation tendue entre le coach et son joueur, les premières rumeurs de transfert émergent. Bien sûr, la relation entre les deux hommes ne semble pas permettre à leur aventure commune de se poursuivre d’avantage. Mais il est à ce moment-là assez fou d’imaginer la Juventus se séparer d’un garçon déjà cadre du onze, complice de Cristiano Ronaldo au point de courir des footings nocturnes en slip dans le désert de Dubaï ensemble et parti pour être l’un des piliers de l’équipe à long terme. Surtout, retrouver un talent de ce calibre sur le marché au poste de latéral droit serait mission impossible. La situation est finalement simplifiée par le départ d’Allegri annoncé mi-mai.

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Problème : les rumeurs évoquant un départ de Cancelo pour l’Angleterre persistent. Les raisons invoquées sont tour à tour : une confiance en berne avec le club qui aurait soutenu le point de vue d’Allegri même après son départ, la nécessité de renflouer les caisses, et enfin le fait que Maurizio Sarri ne compte pas sur lui pour sa nouvelle Juve, car jugé trop offensif et pas assez fiable défensivement. Dernière théorie plutôt étrange, quand on sait que Sarri affirmait ne pas avoir d’emprise sur le mercato du club, et que le poste est finalement revenu au ô combien peu offensif et fiable défensivement Juan Cuadrado, pièce maîtresse de l’équipe cette saison soit dit en passant.

Au bout d’un mois de juillet dans le flou total, les tifosi bianconeri sont finalement fixés.. Au contraire de leur mâchoire inférieure au moment de découvrir les conditions du départ du Portugais : Cancelo s’envole contre 65M€ à Manchester City, en échange de quoi la Juventus rachète Danilo aux Citizens pour 35M€. Les deux clubs font donc un joli coup en terme de jeu d’écritures sur leurs bilans comptables. Pour ce qui est du football, c’est plus compliqué. Côté Juve, Danilo va, comme il était couru d’avance, flopper totalement. Si la raison précise qui a poussé à la vente côté italien ne sera sans doute jamais vraiment expliquée, il y a en revanche peu de doutes concernant le fait que la direction sportive, en pleine transition suite au départ de Beppe Marotta, n’était pas complètement prête pour ce premier été sous la conduite de Fabio Paratici.

Pep culture

L’ancien Valencian s’en va donc découvrir la Premier League sous la houlette de Guardiola. Pour quelle raison exactement avoir choisi de quitter la Juve pour City ? Eh bien, c’est la question à un million. Celle qui rend le malaise autour du joueur presque palpable et ce depuis sa présentation avec les Skyblues. À la réaction de dérangement spontané a pu se substituer un «Je suis venu pour jouer avec les meilleurs joueurs». À quoi un journaliste répondra : «Mais ne venez-vous pas de dire que vous jouiez avec le meilleur joueur du monde avec Ronaldo ?» Ou un «Je suis venu pour Guardiola, sa philosophie et les projets qu’il a pour moi m’ont plu». «Mais n’aviez-vous pas dit que vous n’aviez pas vraiment eu le temps de discuter de votre venue…?»

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À écouter le joueur et voir ses réseaux sociaux ou sa proximité encore extrêmement forte avec ses ex-coéquipiers, c’est comme s’il était écrit entre les lignes au surligneur orange que ce départ n’était pas vraiment de sa volonté. Au cœur d’une équipe à l’aube d’un renouvellement certain, titulaire en puissance, installé à Turin, père de six mois et un contrat longue durée en poche, il ne tombe pas sous le sens de partir à la va-vite (de son propre aveu) pour une équipe menée par un coach qui ne sait pas quoi faire de vous.

Car là se trouve le grand drame de cette saison : dix-huit titularisations, huit en championnat, quatre en phase de poules de Ligue des champions, plus des matches de coupe, à chaque fois dues au fait que l’adversaire était suffisamment faible ou que les absents se faisaient trop nombreux. Le total le plus faible de sa carrière professionnelle derrière sa première saison à Valence en 2014-2015, sans compter que le João accélérateur a été muselé, bien souvent attaché par la bride à ses défenseurs centraux et privé d’influence dans le camp adverse pour laisser le champ aux dédoublements des De Bruyne et Bernardo à l’intérieur des espaces créés par les ailiers. Exit donc les latéraux ultra influents comme Cancelo.

Cela donne donc pour le Portugais des performances la plupart du temps sans relief, loin de ses standards italiens. Une saison traversée comme une âme en peine, qui a fini par interroger outre-Manche. Pep Guardiola lui-même ne sait comment remédier à cette situation de malaise qui enfle. Manchester City aurait donc encore une fois déboursé une somme astronomique pour un joueur du secteur défensif au rendement largement en-deçà  de ce qui était espéré.

Guardiola est donc forcé d’envisager une solution que les médias britanniques ont déjà largement adoptée : «Je ne sais pas ce qui arrivera dans les prochaines semaines. L’été, les joueurs et le club discutent. Si un joueur veut partir, c’est simple. Il doit appeler le club, ils s’arrangent, et s’ils ont un accord, il peut partir. […] Ce qu’il doit faire pour jouer plus dans les rendez-vous importants ? Être lui-même, à l’écoute, essayer de faire son maximum. On est là pour l’aider, ce qui est normal et c’est ce que je veux pour tous les joueurs. Tout dépend de lui. Je peux proposer des choses mais c’est aux joueurs de décider du reste.»

Plusieurs solutions s’offrent au joueur. Toutes, en revanche, nécessiteront de laisser derrière lui l’épisode de cet été 2019. Que ce soit sous la direction de Guardiola ou à nouveau dans un autre club, qui serait le cinquième en cinq ans, il sera temps pour Cancelo de trouver un endroit où il trouvera la continuité qui lui permettrait de franchir encore un palier, alors que les plus belles années de sa carrière sont maintenant là (il fêtera ses 26 ans le 27 mai). Et, surtout, récupérer sa place au sein de la Seleção avant l’Euro l’année prochaine.

Crédit photo : PA Images / Icon Sport

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