Pourquoi les clubs et sélections nationales se font la guerre ?

Kylian Mbappé se voyait déjà enchaîner les Jeux Olympiques après l’Euro cet été, un rêve que la crise du coronavirus (et le report des deux événements) n’a pas entaché. Mais le PSG a déjà prévenu la FFF qu’il ne libérerait pas son attaquant pour les JO. Conflit à venir entre le club et la sélection ? Ce ne serait pas une première dans le monde du football. Et les cas de figure sont multiples.

Retraités, levez-vous

«Makélélé est un esclave», s’emportait José Mourinho en 2006, lorsque le milieu de Chelsea a été rappelé en équipe de France malgré sa retraite après la Coupe du monde. L’entraîneur portugais ne digérait pas que son joueur, alors âgé de 33 ans, soit contraint par le règlement de répondre positivement au choix de Raymond Domenech. «Il n’a pas pris sa retraite puisqu’il joue dans un club, se défendait le sélectionneur des Bleus. Il a une licence de footballeur. À ce titre-là, il est sélectionnable comme tous les joueurs et il encourt des sanctions s’il ne vient pas. J’ai la loi pour moi.» La loi pour Domenech, vraiment ? Le porte-parole de la FIFA, Andreas Herren, ne formulait aucune réponse claire : «Il n’y a aucune règle empêchant un joueur de prendre sa retraite internationale. C’est à lui de voir.» Et que dit le règlement ?

«Un club ayant enregistré un joueur doit mettre ce joueur à la disposition de l’association du pays pour lequel le joueur est qualifié, sur la base de sa nationalité, s’il est convoqué par l’association en question. Tout accord contraire entre un club et un joueur est interdit.»

Autrement dit, impossible pour Chelsea d’interdire à Makélélé de rejoindre Clairefontaine. Mais le milieu défensif français peut-il lui-même refuser la convocation ? Eh bien non. Enfin, normalement.

«En principe, tout joueur enregistré auprès d’un club est tenu de répondre positivement à une convocation pour jouer pour l’une des équipes représentatives d’une association qu’il est autorisé à représenter sur la base de sa nationalité.»

En écho aux propos tenus par Andreas Herren, la FIFA n’a donc pas statué sur le cas des joueurs retraités. Domenech est dans son bon droit. Tout comme Mourinho qui protège son joueur. Résultat : avantage sélections. «Je peux comprendre la déception du coach», expliquait Makélélé, qui définissait comme un «devoir» de porter le maillot bleu. «Il y avait un accord pour que j’arrête après la Coupe du monde. Mais j’ai parlé avec le sélectionneur et il pense que je peux toujours être utile à l’équipe. C’est une situation délicate. Je vais jouer plus de matches et je serai davantage fatigué…» L’homme aux 71 capes met ainsi le doigt là où ça dérange les sélections.

Blessés, reposez-vous…

Une lettre déchirée et un rêve brisé. Voici à quoi s’est résumée la fin de Coupe du monde 2014 d’Angel Di Maria. L’ailier argentin, blessé à la cuisse droite en quarts de finale contre la Belgique (1-0), manque le match suivant face aux Pays-Bas (0-0, 4-2 aux t.a.b.). Puis vient la finale, contre l’Allemagne. «J’étais à environ 90%, a révélé Di Maria au quotidien Olé en mars dernier. On m’a dit qu’il y avait un risque que je ne rejoue plus jamais au football, mais je m’en fichais. Puis la lettre est arrivée.» Celle-ci porte le sceau du Real Madrid, qui a l’intention de vendre son joueur à Manchester United (75M). Du point de vue de Florentino Pérez, ce n’est pas le moment de jouer aux héros et faire capoter le transfert.

«Je ne voulais même pas regarder la lettre, souffle Di Maria. Je l’ai déchirée. Je me doutais de quoi il s’agissait, car je savais que le Real allait recruter James Rodriguez et il jouait au même poste que moi.» En larmes, Di Maria annonce à son sélectionneur, Alejandro Sabella, qu’il n’est pas à 100%. Enzo Pérez le remplace dans le 11 de départ et l’Argentine s’incline (0-1). Une illustration extrême des clubs, employeurs, qui souhaitent prendre la main sur les dossiers médicaux des joueurs, employés. Ces derniers représentent un enjeu sportif pour la réussite de leur équipe, mais aussi un atout financier, à la fois de par leur dimension commerciale auprès du public/des sponsors et de par leur valeur marchande. Cristiano Ronaldo ne le sait que trop bien.

…ou forcez-vous

Touché à la cheville le 30 septembre 2009 contre Marseille, l’attaquant du Real Madrid débute un petit calvaire. Appelé en sélection la semaine suivante, le Portugais se rend dans son pays natal afin de faire évaluer sa blessure, comme l’exige le règlement de la FIFA. Et il est jugé… apte. Titulaire face à la Hongrie le 10 octobre, Ronaldo rechute et sort après 27 minutes. Le Real Madrid est grognon. Ronaldo souhaite rester auprès de sa sélection pour le match face à Malte, 4 jours plus tard. Son club refuse catégoriquement et le rapatrie à Madrid. Toujours convalescent début novembre, Ronaldo est… rappelé par Carlos Queiroz, en vue des barrages au Mondial 2010 contre la Bosnie-Herzégovine. «Les médecins et le bon sens interdisent à Cristiano de voyager au Portugal», tempête le directeur sportif Jorge Valdano dans la presse espagnole.

Son entraîneur, Manuel Pellegrini, se montre plus compréhensif : «Il veut jouer et c’est normal que le coach fasse appel à lui, mais le problème est médical. Les docteurs sont les mieux placés pour savoir.» Le 10 novembre, sans surprise, la fédération portugaise déclare que «le joueur n’a pas la condition physique nécessaire pour intégrer le stage de préparation». Une gestion de la santé du joueur par la sélection qui interpelle le club ? Cas classique.

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«La FFF ne sera plus la bienvenue ici», lâchait Arsène Wenger en août 2006. La cause : 90 minutes de Thierry Henry lors d’un match amical des Bleus. L’attaquant avait été volontairement économisé par les Gunners afin de lui permettre une reprise en douceur. Un choix de Domenech (toujours dans les bons coups) qui n’a «aucun sens» selon Wenger. «Il (Domenech) puise dans les clubs qui font progresser les joueurs et il méprise ces clubs, ne leur accorde aucune attention», rajoute l’Alsacien en mars 2007 dans les colonnes de L’Équipe. Le débat est ouvert : comment gérer la condition physique des internationaux ?

Il y a 15 ans, Wenger, Domenech ou encore Robert Duverne, préparateur physique de l’OL et de l’équipe de France, s’accordaient sur un point : le calendrier est surchargé. Un problème plus que jamais d’actualité, France Football y consacrant sa Une en janvier dernier d’un titre sans équivoque : «Arrêtez le massacre !» Des sonnettes d’alarme qui ne freinent pas le projet de la FIFA d’élargir le Mondial des clubs. Et de donner plus d’importance, voire de pouvoir à ces derniers. «Ça va au-delà de la pression, c’est malsain», accusait Didier Deschamps au mois d’octobre, visant le Bayern Munich d’un Lucas Hernandez blessé pour son club, pas pour sa sélection. Et les joueurs, qu’en pensent-ils ? Discrets vocalement, ils s’expriment par les actes. À l’image de Kylian Mbappé, qui se voit bien réaliser le doublé Euro-JO le même été. Sans ignorer ses responsabilités au PSG.

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Olympiens, restez chez vous

«Je n’irai pas au clash, a prévenu Mbappé en décembre dernier pour France Football. Bien sûr que je veux y aller, mais si mon club, qui est mon employeur, ne veut pas que j’y aille…» Car oui : contrairement aux exemples précédemment évoqués, un club peut interdire à son joueur de disputer les Jeux Olympiques. Pourquoi la même règle ne s’applique-t-elle pas ? Parce que les matches des JO ne sont pas inclus dans le calendrier FIFA. Les employeurs ont donc la possibilité d’émettre leur véto et retenir leurs employés. Et c’est ce qu’a fait le PSG au début du mois selon L’Équipe, prévenant la FFF que Mbappé ne sera pas libéré pour rejoindre Tokyo. Sauf que, là encore, un conflit n’est pas à exclure.

«Si vous avez dix joueurs concernés, c’est problématique», a souligné Didier Deschamps en fin d’année dernière. Traduction : le sélectionneur des Bleus ne fera pas pression en faveur de Mbappé. Mais son discours n’est pas forcément du goût de la FFF, qui espère faire changer d’avis le Paris Saint-Germain. «Je trouve sympathique et extrêmement positif qu’un joueur comme Kylian Mbappé ait envie de disputer les JO, s’est enthousiasmé le président Noël Le Graët début mars, au micro de RMC Sport. La Fédération a dit oui et le PSG non pour le moment. Mais il y a encore un peu de temps.» Que ce soit pour le terrain ou le coup de pub, la présence de Mbappé à Tokyo serait une aubaine pour l’équipe de France. Et la surcharge de travail dans tout cela ? Selon les dates originellement prévues en 2020, le tournoi devait s’achever le samedi 8 août, soit en plein milieu de la 1re journée de Ligue 1 2020-21.

Avec l’importance que revête la préparation physique en début de saison, il semble improbable que le PSG fasse un tel cadeau (empoisonné) à Mbappé. «Et si je n’arrive pas à y aller en 2020, il me restera 2024, rappelait le principal intéressé. Ce sera à Paris en plus.» Oui mais à Paris, il y a d’autres trophées à gagner d’ici-là.

Crédit photo : Sputnik / Icon Sport

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