[Rétro] Parme 99, l’âge d’or avant l’orage

À l’aube des années 2000, Parme impose son football débridé et avant-gardiste à l’Europe entière. Vainqueur de trois titres européens en six ans (C2 et Supercoupe en 1993, C3 en 1995) pour quatre finales, le club gialloblù s’offre en 1999 un nouveau sacre continental. Grandeur avant décadence de l’ « équipe de Coupe » de la décennie.

« Un football fait de bannières et de poésie. De vrais hommes, parfois durs. Des hommes qui ont mis leur cœur dans ce football qui était jeu, passion, imagination et innovation.» À l’image de ses odyssées européennes, Alberto Malesani, se manque rarement quand il s’agit d’envolées lyriques et nostalgiques.

Le mister véronais (65 ans) aujourd’hui sans banc depuis son départ de Sassuolo en 2014, passe désormais le plus clair de son temps à développer ses activités vinicoles quand il ne ressasse pas un début de carrière bien plus prolifique qu’une dernière décennie passée à squatter les bas-fonds de la Serie A. Pêle-mêle, Bologne, Gênes, Empoli, Udine, Sienne, Palerme et Sassuolo sur le CV, mais pas de quoi déboucher une bonne bouteille.

L’aventure avait pourtant commencé par une accession aussi rapide que prometteuse au plus haut niveau : de la Serie C de sa Vérone natale (Chievo), jusqu’à la Fio des Rui Costa et Batistuta. Une très belle prouesse pour un coach sans aucune carrière de joueur pro.

En grimpant à la cinquième place de Serie A lors de la saison 1997-98, Malesani s’offre une belle promotion qui prendra la forme d’un billet de train pour l’Émilie-Romagne, six ans seulement après ses premiers pas sur un banc.

Parmalat et la décennie dorée

Si un jeune de vingt ans me demandait à quoi ressemblait mon football, je dirais que j’étais plus proche de Guardiola que des autres, sans vouloir être présomptueux : mon Parme à moi a remporté l’UEFA contre Marseille avec de nombreux concepts de Pep. 

L’équipe de Parme 99 a un certain standing à tenir, Malesani ne se prive jamais de le rappeler en interview.

Son histoire chez les gialloblù prend forme à l’été 98 lorsqu’il pose ses valises à Collecchio, le centre d’entraînement parmesan. C’est un nouveau chapitre glorieux qui s’ouvre pour le club qui, en l’espace d’une décennie, s’est déjà construit une sacrée réputation.

Toi qui lis cet article, avec un brin de nostalgie, il n’est pas à exclure que tu retrouves une VHS avec, sur sa bande poussiéreuse, l’équipe au maillot jaune et bleu, frappé de l’iconique « Parmalat ». C’est un état de fait.

À partir de 1989, année de leur montée dans l’élite, et pour une décennie, les ducali ont trusté les têtes d’affiche de bien des soirées de gala européennes. Une ascension remarquable, caractérisée dans son histoire comme les années « Parmalat », nom du célèbre groupe agroalimentaire italien actionnaire majoritaire du club.

Toujours sur les bons coups et bien aidé par le flegme de son fantasque président, Calisto Tanzi, l’ex-AC Parmense signe plusieurs cadors, parmi lesquels Cláudio Taffarel, Fernando Couto, Dino Baggio ou encore Tomas Brolin.

parme 99

Brolin, Zola, Taffarel initient la dynastie des fuoriclasse passés par Parme

Jamais classé en deçà de la septième place, deux fois troisième, une fois deuxième en 1997, le club se taille une renommée d’équipe de Coupe. En trois ans, il remporte une C2 (1992), une C3 (1993), une supercoupe d’Europe (1993) et une Coppa Italia (1992). Et peu importe si le Scudetto lui échappe, à l’aube de la saison 1998-1999, Parme s’est fait un nom dans le gratin italien et européen.

Pep véronais

Revenons à notre Pep véronais. Juste après le Mondial français, l’après-Ancelotti lui est confié. Une mission périlleuse. Carletto est parvenu à hisser en un an seulement le club en Ligue des Champions, bien épaulé par des Crespo, Chiesa et Ze Maria marchant sur l’eau. Et on parle ici de marcher sur la Juventus de Zidane, le Milan de Weah, et l’Inter de Djorkaeff.

Difficile cependant de confirmer un cran européen au-dessus. Parme finit cinquième. Ancelotti prend la porte et une année sabbatique. Il file plus tard dans le Piémont au chevet de la Vieille Dame.

LIRE AUSSI : [Retro] Arsenal 89 et l’exploit de l’impossible

Après le Mondial 1998, Malesani a du pain sur la planche. Très complice avec le président Tanzi, il s’affaire d’abord à bâtir son onze.

La tâche n’est jamais facile lors d’un été de Mondial, mais cela n’est visiblement pas un souci pour le néo-Mister qui signe l’un des coups du mercato avec l’arrivée de la Brujita, Juan Sebastián Verón. 35 milliards de lires italiennes, comptez 19 millions d’euros : à l’époque, il s’agit du plus gros coup de la Parmalat.

Alain Boghossian est lui aussi convaincu par le projet et débarque dans la ville de Lino Ventura, la médaille autour du coup. Le transfert est même bouclé avant le Mondial français, où le milieu de terrain se distingue dans son rôle de super-sub défensif.

Une pépite, un champion du monde… et un chouchou qui revient au bercail, en la personne de Faustino Asprilla. Le Colombien, déjà auréolé de gloire lors des épopées européennes des gialloblù cru 92 et 93, fait son come-back, après deux saisons mitigées à Newcastle.

3-4-3, trois fantastiques, 3 finales… le numéro fétiche

Si le mercato est une première réussite, il vient sublimer un effectif déjà bien fourni, dans lequel Lilian Thuram, Fabio Cannavaro et Roberto Sensini organisent une ligne arrière redoutable. Ces trois-là, dans un 3-4-3 novateur, sont épaulés par Diego Fuser et Paolo Vanoli sur chaque flanc, deux noms moins clinquants, mais dont le rôle est fondamental dans le système à trois défenseurs.

Dans l’entrejeu, la paire d’as Boghossian – Dino «The Other» Baggio complète la base défensive du système parmesan. Pour terminer en beauté, un trio infernal : Veron, placé en dix, derrière Chiesa père et le jeune Hernan Crespo.

Compo ou hall of fame, on hésite encore

Parme dispose sans aucun doute de l’effectif le plus compétitif de son histoire. En alignant d’ailleurs les palmarès de tout l’effectif, on dénombrerait aujourd’hui 10 Scudetti, 6 Coupes d’Italie, 3 C3 et un Ballon d’or, sans oublier quatre Coupes du Monde.

LIRE AUSSI – [Angleterre] À Leeds, «Bielsa a rendu le football aux fans»

Encore fallait-il réussir à faire jouer tous ces titans ensemble. Quoi de mieux qu’une Serie A ultra relevée pour se faire les dents ? Probablement pas grand chose, en cette saison 1998. La Juventus, la Fiorentina, le Milan tombent dans le piège parmesan. Mais, comme souvent, le club laisse des plumes face aux plus petits : Perugia, Bologne, Venise en l’occurrence.

En Europe, l’Italie retrouve aussi le jeu explosif de son meilleur porte-étendard, avec son 3-4-1-2 maison, probablement hérité des paperboards de Van Gaal.

Son système de jeu osé se fonde d’abord sur une extrême liberté donnée aux joueurs. Malesani se repose défensivement sur l’omniprésence de sa paire de milieux de terrain et la discipline de son arrière-garde. Devant, la fantaisie d’un Veron au sommet de son art et l’efficacité du duo de choc Crespo-Chiesa fait le reste. Peu de dépassements de fonction, chacun connaît sa zone et sait ce qu’il a à faire.

La chance aux audacieux

Alors 3-4-1-2 précurseur ou anachronique ? Telle est la question, tant la formation de Malesani reste inclassable. Elle est largement démodée dans sa définition des rôles offensifs et défensifs basiques. En revanche, les séquences de jeu vertical et les rythmes totalement différents imposés par ce onze de rêve seraient, eux, à remodéliser sur Youtube. Peut-être la besogne a-t-elle déjà été réalisée par un certain Gasperini.

«On parle d’un football dans lequel l’équipe dépendait de la somme des valeurs individuelles, mais dans lequel, dans un sens, les joueurs étaient moins dépendants à l’équipe qu’aujourd’hui», expliquait récemment à Sky Sport la tête pensante de cette organisation.

En clair, l’idée d’une philosophie de jeu d’équipe ne guide pas forcément les onze individus sur le terrain. Cela coûtera quelques défaites évitables en championnat, et surtout de belles sueurs froides en Coupe d’Europe.

Au cours de leur odyssée continentale, les crociati (NDLR : croisés) sont presque toujours au pied du mur. C’est une constante. Au premier tour, contre Fenerbahçe (2-1 pour les Turcs au match aller, 1-3 au retour), puis deux tours plus tard, contre les Glasgow Rangers.

Après un match nul à l’aller à Ibrox Park (1-1), les hommes de Malesani se retrouvent menés au score (0-1) et en infériorité numérique après 45 minutes de jeu. Une mi-temps et trois buts plus tard, ils s’en sortent in extremis.

Puis vient le tour des Girondins de Bordeaux. Défait 1-2 à l’aller, Parme confie son sort à la providence du stade Ennio-Tardini. Suffisant, une fois de plus. L’équipe inscrit six buts pour une remontada d’anthologie. Le message est clair pour les autres prétendants, pas suffisamment pour l’Atlético Madrid battu (1-3, 2-1) en demi-finale.

Voilà les Dalton

Avec un tel parcours, Parme fait figure de favori face à l’OM de Gourvennec, Bravo et Blanc. Une « équipe de joueurs déguisés en Dalton mais qui n’avaient pas le comportement d’Averell » se souviendra plus tard Rolland Courbis, entraîneur de l’époque.

Une chose semble pouvoir gripper la machine à buts parmesane : l’absence de match retour à la maison. Cette préoccupation est vite oubliée à la demi-heure de jeu : Crespo et Vanoli plient le match en cinq minutes, bien aidés par un Laurent Blanc en perdition. Chiesa parachève la victoire d’un missile, qu’il définira plus tard comme « le plus beau but de sa carrière ».

Parme s’offre ainsi son quatrième titre européen de la décennie et son deuxième sacre de la saison, après la Coppa Italia, raflée quelques jours plus tôt. C’est la consécration pour Malesani, ses idées et ses poulains. L’entrée dans la postérité pour l’équipe de Coupe de la décennie.

Alors que faut-il retenir de cette équipe aussi atypique qu’iconique ? Indéniablement, cette capacité à se sublimer lors des grands rendez-vous : la flamboyance plutôt que la constance, le rush plutôt que l’endurance. En somme, du romantisme pur dont on n’a pas fini de ressasser l’épopée et ses héros.

En 2004, suite à la faillite du groupe Parmalat sur fond d’usage de faux et de provisions bidon, le club perd la plupart de ses joueurs. Après une nouvelle crise financière en 2015, le club est définitivement rétrogradé en Serie D. Il remonte en Serie A en mai 2018.

Crédit photo : Iconsport

0