Un rapport sur le supportérisme est récemment venu bousculer les habitudes des tribunes françaises. Exit le tout-répressif, l’infantilisation et les sanctions. Les instances s’ouvrent au dialogue, à la collaboration et à la construction d’un modèle français. Les supporters de l’Hexagone vivent peut-être un moment important de leur histoire.
Alors que les chants digitaux des supporters allemands créent le débat au sein du microcosme footballistique, les tribunes françaises vivent un moment important pour leur avenir. Après des années de sanctions de la part des instances et de faux-pas de certains groupes ultras, le dialogue semble enfin s’ouvrir et des solutions émergent progressivement. Mis au ban de la société durant trop longtemps, les passionnés remplissant les tribunes de France rêvent de pouvoir retrouver les travées des stades rapidement et dans de meilleures conditions que lorsqu’ils les ont prématurément quittées en mars dernier. Au sortir d’une crise sans précédent, la question se pose : quel est l’avenir des tribunes françaises ?
L’exemple à ne pas suivre
Les stades européens offrent des exemples bien différents de ce à quoi peut ressembler l’ambiance d’un stade de football. Les Allemands sont bien souvent présentés comme des exemples sur plusieurs points : ambiance, prix des places, taux de remplissage, présence en déplacement… À l’opposé de ce glorieux constat, la France fait office de vilain petit canard. Embourbé depuis des années dans une relation tendue entre les instances et les groupes de supporters, l’Hexagone adopte une stratégie totalement opposée à celle de son voisin germanique : sanctions collectives, huis-clos, interdictions de déplacement, violence, absence de dialogue, chute de l’ambiance dans les stades et affluence en berne. Le constat est terne et la situation n’a fait qu’empirer au fil des débordements et de la succession des arrêtés préfectoraux.
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Au début des années 2000, la France des tribunes pouvait regarder ses voisins européens droit dans les yeux. Les supporters marseillais, parisiens, stéphanois ou lensois jouissaient d’un certain respect à l’échelle nationale, notamment grâce à leur faculté à proposer des animations de grande envergure, des déplacements massifs et de chaudes ambiances. L’augmentation de la violence et les drames des années 2010 marquent alors le début d’une nouvelle ère pour les supporters français. Progressivement, les interdictions se mettent en place. L’encadrement des supporters devient de plus en plus strict et le dialogue se rompt totalement entre tous les acteurs. Au coeur d’un processus de diabolisation, les supporters historiques se sentent méprisés par les instances du foot français, trop souvent interdits d’exercer leur passion en totale liberté.
Un discours qui s’apaise
La situation aujourd’hui est bien connue : les huis-clos deviennent trop fréquents, les interdictions de stade (IDS) et les interdictions administratives de stade (IAS) se multiplient, les déplacements massifs se font de plus en plus rares, les affrontements entre groupes de supporters et forces de l’ordre sont réguliers… Pire, l’affluence globale des stades français peine à progresser et l’ambiance globale de nos tribunes s’en ressent. Toutes ces mesures sont le résultat de nombreuses années de discorde, de débordements et de décision unilatérales.
Pourtant, suite au fameux Plan Leproux mis en place par le PSG en 2010, la plupart des clubs se sont rendu compte de l’importance des tribunes actives pour l’attractivité du produit qu’ils proposent. Certains comprennent désormais que les supporters font partie d’un capital humain essentiel dans la mise en valeur de leur image. Aujourd’hui, à l’heure où les stades dorment paisiblement en attendant la reprise du football que l’on aime, le discours semble progressivement s’apaiser et des propositions positives émergent petit à petit.
Ouvrir le dialogue pour sortir de la crise
Après des années de lutte pour faire valoir leurs droits et ouvrir le dialogue avec les instances, les défenseurs des tribunes françaises arrivent aujourd’hui à un tournant de leur combat. Plusieurs mois de travail et de nombreux échanges avec les différentes parties prenantes (groupes de supporters, LFP, FFF, Association Nationale des Supporters, députés, préfets…), ont permis à Sacha Houlié et Marie-George Buffet de présenter un rapport sur le supportérisme le 20 mai dernier. Et ce rapport ressemble fortement à la première pierre d’un avenir plus serein pour les stades français. En commençant par dresser le constat d’une répression vaine et d’un échec cuisant de la politique mise en place depuis dix ans, les deux rapporteurs introduisent leur travail de la meilleure des manières. La manière radicale dont a été traité le dossier des supporters à l’échelle nationale n’a finalement apporté aucune amélioration évidente et n’a fait que renforcer le fossé entre les acteurs des tribunes et les autorités en charge du dossier.
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Depuis plusieurs mois, et notamment suite à l’implantation de l’Instance Nationale du Supportérisme (INS) au coeur du Ministère des Sports, plusieurs améliorations positives avaient déjà vu le jour : expérimentation des tribunes debout à Lens, Sochaux, Saint-Etienne et Amiens, création et démocratisation des “référents-supporters” au sein des clubs professionnels. Aujourd’hui, le rapport proposé par Mme. Buffet et M. Houlié ouvre la porte à un nouveau modèle des tribunes à la française, loin de l’aseptisation anglaise ou de l’institutionnalisation allemande. Très attendu par les groupes de supporters et leurs représentants, le rapport est globalement accueilli de manière très positive. La perspective d’un dialogue apaisé éclaircit enfin l’horizon souvent sombre des plus fervents représentant du supportérisme français.
Concrètement, le rapport réalisé par les deux députés propose de nombreuses avancées, sur plusieurs points. Les plus importantes ont largement étaient relayées par la presse dernièrement : test d’utilisation encadrée des fumigènes dans les stades, multiplication des essais concernant les tribunes debouts et augmentation des jauges dans certains cas, limitation dans l’usage des IAS (cf. cette excellente enquête de L’Equipe) et diminution de leur durée maximale, encadrement et limitation des interdictions de déplacements… L’objectif affiché est clair : apaiser une situation extrêmement tendue en limitant les décisions abusives, responsabiliser les acteurs des tribunes et leur offrir la confiance qu’ils réclament, éviter les dérives restrictives notamment liées aux IAS, faciliter le travail des forces de l’ordre et revenir à une situation normale dans l’encadrement des matchs de foot.
Des lendemains qui chantent ?
Les enjeux liés à ce rapport sont nombreux. Après une longue décennie de schizophrénie et de mutisme de la part des responsables du foot français, chacun semble enfin percevoir l’intérêt que représentent le spectacle des tribunes françaises et le maintien d’ambiances festives dans les stades de l’Hexagone. D’un point de vue sécuritaire, les autorités se rendent globalement compte de l’échec de la politique répressive mise en place pour lutter contre les trop nombreux débordements et de l’infantilisation à outrance d’une partie importante de la population. Du point de vue des clubs, l’envie généralisée de construire des marques de plus en plus fortes et le besoin de créer de la valeur autour des matchs soulève l’importance de l’ambiance et de la mise en avant des acteurs les plus actifs en tribune. L’exemple du retour des Ultras au PSG est un cas d’école à ce niveau. Enfin, du point de vue des groupes de supporters, l’enjeu repose sur le droit d’exercer sa passion en toute liberté, mais également sur la responsabilisation individuelle, pour contenir les éventuels dérapages.
Bien que ce rapport ait trouvé un écho plutôt positif dans le monde du supportérisme français, doit-on s’attendre à une certaine méfiance de la part des acteurs des tribunes ? La réponse est oui. Les dernières saisons ont creusé un fossé de plus en plus large entre les supporters et les décideurs, qu’ils soient en uniforme ou en costume cintré. Comme dans toute relation, une fois bafouée, la confiance est difficile à rétablir. Les voix les plus radicales ont déjà eu l’occasion d’exprimer leurs doutes vis-à-vis de certaines mesures, comme sur l’encadrement de l’utilisation des fumigènes par exemple. Tout l’enjeu ici sera alors d’homogénéiser le message et la parole pour trouver un terrain réellement propice au dialogue. C’est là que des structures comme l’Association Nationale des Supporters (ANS) ou l’Instance Nationale du Supportérisme (INS), par exemple, porteront de grandes responsabilités. Chacun devra faire un pas vers l’autre pour parvenir à une réussite globale.
A quoi faut-il finalement s’attendre pour le futur des tribunes françaises ? Le changement de discours actuellement vécu peut-il réellement transformer le quotidien des supporters français ? Nous ne sommes finalement qu’au début d’un long processus. Les dernières années ont laissé des traces et causé des dégâts importants dans chaque parti. L’important est de ne plus imaginer ces partis comme des camps opposés mais plutôt comme des acteurs d’une même cause : celui du retour sur le devant de la scène du football français. Cette démarche semble entrer dans un cadre bien plus large : la valorisation de nos championnats professionnels. Des ambiances festives seront synonymes d’affluence en hausse et donc d’un meilleur rayonnement à l’échelle européenne. Après de trop nombreuses années dans la peau du vilain petit canard, le foot français a l’occasion de redorer son image. L’heure est venue d’accorder les violons.
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