Graziano Pellè, symbole de «la pire Italie de l’histoire»

L’Euro 2020 approche, signant le retour de l’Italie dans un tournoi majeur. L’occasion de se replonger dans le souvenir du dernier disputé par la Squadra Azzurra, il y a 5 ans en France. Dans un contexte unique dans l’histoire de sa sélection, la Nazionale aura marqué les esprits par son parcours. Un joueur représente à lui seul toute l’étrangeté de cette aventure : Graziano Pellè.

La pire des pires

L’enfer promis à l’Italie. C’est sans doute un évènement sans précédent dans l’histoire, mais les Italiens ne font absolument pas peur. En l’absence de Marchisio et Verratti tous deux forfaits, ce sont sans doute les seuls top players de la Botte sélectionnables n’évoluant pas en défense et en pleine force de l’âge qui déclinent le rendez-vous de l’Euro 2016. Sous la direction d’Antonio Conte, il faut bricoler, et le Mister a de l’imagination à revendre. Et oui, il en avait bien besoin. La BBC de la Juve, encore au top devant Buffon assure une base solide. Pour le reste, tout le pays aura attendu le jour de l’annonce du groupe des 23 voire le coup d’envoi du premier match pour découvrir où Conte voulait en venir, notamment dans l’entrejeu.

Le principal problème sur les 7 postes restants à attribuer ? Choisir entre des hommes d’expérience en bout de course, des jeunes talents d’une génération qui au final n’est jamais à la hauteur des espérances, ou des joueurs lambdas pour ne pas dire faibles à ce niveau, qui seraient sortis du chapeau de l’ex-coach de la Juve. De la première catégorie, on trouve Daniele De Rossi, parmi les derniers rescapés des champions du monde 2006 avec Buffon et Barzagli. De la seconde, il y a notamment dans les couloirs une alternance Florenzi-Darmian-De Sciglio-Candreva. Et aux côtés de De Rossi, ce sera Marco Parolo qui reprendra la flambeau de Marchisio et Pirlo, ou palliera à l’absence de Verratti. Choisissez la formule qui vous pique le moins les yeux. Enfin, Conte boucle son 11 avec les inattendus Giaccherini, Eder, et donc Graziano Pellè.

Anciennes gloires, espoirs d’un temps ou même titulaires inattendus, tous avaient au moins en commun le fait d’avoir eu une crédibilité aux yeux du football italien et de ses observateurs à un moment donné, bien qu’à différentes échelles. Si Pellè est le représentant ultime de cette équipe avant même le coup d’envoi de l’Euro, c’est parce qu’il est bien le seul pour qui ce n’est pas le cas. Les débuts prometteurs de De Sciglio au Milan, l’envol de Darmian au Torino, la prise de responsabilités de Parolo à la Lazio, la révélation de Sturaro en 2015, les prestations correctes d’Eder avec la Sampdoria ou de Zaza à Sassuolo, la suprématie nationale avec la Juve de Giaccherini… Oui, même les noms les moins clinquants.

Pellè, lui, n’aura même pas connu de saisons prometteuses en Serie A dans ses jeunes années. Lassé des prêts pour tenter de prouver sa valeur en bas de tableau voire en Serie B, il s’envole en 2007 pour Alkmaar, repéré par Louis Van Gaal à la faveur d’un passage enfin convaincant à Cesena. La suite, après 4 saisons où il joue beaucoup mais marque peu, c’est une tentative de retour au pays soldée par un échec qui le pousse à repartir loin des yeux de l’Italie, vers le sommet de sa carrière trouvé quelque part entre Feyenoord et Southampton. En clair, quand Conte fait appel à lui lors de sa prise de fonctions en 2014, personne ne sait qui il est. La réponse tombe le 13 juin 2016.

Giacch’ et le Graziano magique face à l’ogre belge

«Les Italiens parlent avec les mains, nous, avec les pieds.» Cette tirade sort tout droit de la campagne promotionnelle d’une célèbre marque de bière sponsorisant l’équipe de Belgique pour l’Euro. Et si elle n’est évidemment jamais sortie de la bouche d’un joueur, elle a le mérite de matérialiser un sentiment largement répandu. Les Diables Rouges, après une expérience prometteuse au Mondial en 2014, arrivent au sommet de leur histoire footballistique. Cette génération dorée est programmée pour lutter pour le titre dès 2016 et vraisemblablement un ou deux tournois derrière, a minima. L’Italie, dans son état, ne sera qu’une victime qui servira de premier marchepied vers le succès de la Belgique.

À LIRE AUSSI – La République tchèque, terre d’épopées

Une planification partagée par bookmakers et observateurs forcément mise à mal quand Giaccherini se charge, à la 31e minute, de climatiser les deux tiers rouges de l’un-temps-nommé Stade des Lumières de Lyon (0-1). Jusque là, Pellè est lui plutôt discret. Sous la domination belge de l’entame de match, la distance avec ses milieux de terrain se fait ressentir malgré l’enfer qu’il fait vivre à ses vis-à-vis dans les duels aériens. Mais après l’ouverture du score, tout change. La Belgique a pris comme tout le monde devant son écran le premier coup de massue de l’Euro, inattendu. Et donc, elle subit. Trois minutes plus tard, sa conservation de balle trouve enfin à qui profiter, avec Candreva en canonnier. Corner, et après quelques voyages dans la surface, le ballon est gagné par Pellè qui manque de quelques centimètres d’achever tout un pays.

https://twitter.com/Theo_CF21/status/1334543844390690825

Le pivot gominé est lancé, ne concédant plus grand-chose jusqu’à la pause. Reprenant sur les mêmes bases après celle-ci, il s’est peut-être dit la même chose que chaque spectateur de ce match quand Lukaku, seul face à Buffon, a loupé le cadre à la 52: c’est pour l’Italie. Une fois, deux fois, trois fois Pellè prend le dessus sur Verthongen et Vermaelen, poussant Courtois à se détendre pour éviter la catastrophe.

Très vite, la fin de match approche, le temps additionnel. C’est fou ce que le temps passe vite quand on s’amuse, malgré de grosses frayeurs signées Origi. Deux gestes magnifiques se succèdent alors. D’abord le centre en feuille morte de Candreva, qui prend à contre-pied tous les défenseurs, scellant le sort de l’action avant même que la suite ne survienne. Le temps est suspendu à cette seconde où le ballon redescend vers Pellè. Puis la reprise de volée, sans opposition, assénée comme un coup de marteau sur la tête de l’Europe (0-2). Alerte générale, on avait oublié un candidat dans le plan initial.

Photo: IconSport

L’Italie de Conte est lancée sur la route de son pari fou : exister dans cet Euro. On ne sait pas jusqu’où elle peut aller, si rééditer ce genre de performance sera possible. Le contexte est tellement surréaliste que l’équipe avance sans véritable objectif sportif défini. Mais ce soir-là, l’Italie a condamné l’Europe à lui réattribuer son honneur, avec Pellè dans le rôle du juge rendant le verdict final.

Dès lors, l’attaquant italien obtient un statut bien différent de celui qui était le sien deux heures plus tôt. Quoi que réserve la suite du tournoi, même le pire, il vient de vivre le plus beau moment de sa carrière et celui-ci lui vaut les remerciements de l’Italie entière. Un sentiment qui va bien survivre jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, la suite immédiate de son tournoi est relativement quelconque. Isolé dans le bloc suédois, il est remplacé par Zaza, auteur de la déviation victorieuse pour Eder (1-0). Il n’est même pas de la partie lors du 3e match contre l’Irlande, sans enjeu (défaite 0-1).

Le match d’une génération ?

L’histoire aurait pu être très belle même en s’arrêtant sur ce bilan. Car oui, c’est clairement le scénario attendu au moment de croiser l’Espagne et la charnière Piqué-Ramos dès les 8e de finale. Malgré le fait que la Roja ait comme l’Italie raté son Mondial 2014 et ait inquiété en poules contre la Croatie, on n’imagine pas le gap entre les individualités de part et d’autre être réduit d’un claquement de doigts. Et là encore, la Squadra fait mentir son monde. Pire, elle sort probablement le plus beau match de la sélection de 2012 à aujourd’hui et roule sur l’Espagne. Parolo et De Rossi ne laissent pas respirer Iniesta, Conte est en pleine crise d’épilepsie, balance un grand pointu dans le ballon qui passe devant lui et hurle à en devenir plus rouge que l’écusson espagnol. Pellè lui, fait le match de sa vie.

Huit minutes, premier coup de semonce lorsqu’il domine Busquets et prévient De Gea quant au match qui l’attend. Ne restait plus qu’à faire pareil avec la charnière espagnole, mission accomplie. Le n°9 italien fait vivre un cauchemar à Piqué et Ramos à chaque duel, par ses décrochages et sa conservation de balle. Tour à tour, il ouvre la porte de la surface à Parolo, Eder, Giaccherini… Excédé, Ramos décide le mettre à terre à l’entrée de la surface avant qu’il ne se retourne à la 31e minute. Frappe d’Eder, Chiellini suit dans la bataille, 1-0.

Photo: IconSport

Le show se poursuit en début de seconde période, et Eder aurait épargné bien des souffrances et des hurlements de Conte à l’Italie en inscrivant le but du break dès la 54e minute. Déviation d’une talonnade signée Pellè, l’Italo-Brésilien dépose Piqué à la course et bute sur De Gea. C’était la dernière opportunité italienne avant de laisser la main à l’Espagne. Une demi-heure de tension plus tard, le dénouement, avec une mise en scène vraisemblablement écrite à l’avance. Temps additionnel, Insigne conserve intelligemment et renverse pour trouver Darmian libre côté droit de la même façon que l’était Candreva contre la Belgique. Mais lui choisit la passe à ras de terre vers son buteur, toujours au second poteau. Le sort a semble-t-il voulu que l’intervention de Ramos lève le ballon de la même manière que lors du match inaugural. Suspendu en l’air, se dirigeant vers l’inéluctable au ralenti. Et le même coup asséné à la fin, pour le même score et le même sentiment d’exploit. Et Conte qui se jette sur le toit de son banc de touche, explosant pour de bon avec le Stade de France.

À LIRE AUSSI – [Euro 2020] Italie: un nouvel espoir

Tout ce qu’il y a de beau dans l’Euro de Graziano Pellè est désormais passé. Car contre l’Allemagne, sa performance restera globalement quelconque, avec en plus de belles occasions manquées en fin de rencontre. Il manquera même son tir au but d’une frappe croisée toute molle. Dans son malheur, il aura eu la chance de s’être raté dans ce qui est probablement la pire séance de tirs au but de l’histoire de l’Euro, où 7 joueurs se seront loupés dont l’inoubliable et ô combien ridicule Simone Zaza, entré à la 120e minute pour ça. Pour apaiser la douleur, on se dira que sortir aux tirs au but face aux champions du monde en titre aurait été inespéré avant le début de la compétition, même si ce n’est qu’en quarts de finale, comme en pleurait Andrea Barzagli sur le coup :

«Tout ce que nous avons fait de beau selon moi n’aura servi à rien quand on voit qu’on sort si vite de la compétition. Il n’y a plus rien, seulement de la déception et dans quelques années, on ne se souviendra pas de cette grande équipe nationale.»

Si seulement il avait pu voir l’avenir à ce moment-là. Non Andrea, c’étaient les derniers beaux moments vécus par le public italien avant la pire catastrophe qu’il ait jamais vécu. Une catastrophé effaçant de fait le cruel titre de «pire Italie de l’histoire» à cette équipe de 2016. Des moments où dans la difficulté, sans qu’on n’attende rien d’elle, la Nazionale a fait le boulot et lavé son honneur. Où Graziano Pellè, en ne réussissant que 2 matches, s’est élevé comme symbole des valeurs qui ont porté cette équipe. Et où un repère a été placé pour la nouvelle génération qui s’apprête à disputer l’Euro, elle aussi dans une position d’outsider. Vous voulez être dignes de ce maillot ? Regardez comment ils ont fait.

0