Benfica : la tempête avant le renouveau

L’interruption du football n’a pas relancé le Benfica, au contraire. Le club lisboète a sombré dans la médiocrité, provocant le départ de son entraîneur Bruno Lage, porté aux nues il y a tout juste un an. Mais comment le SLB a-t-il bien pu en arriver là ? Décryptage d’un effondrement qui contraste avec une nouvelle ambition européenne.

La raison du plus fort est toujours la meilleure. Nous l’allons montrer tout à l’heure. Le loup Nanu traverse le terrain balle au pied, contre-attaquant un Benfica décousu. Le pauvre agneau Ferro, pétrifié par le poids des attentes, voit le ballon passer sur sa gauche, et Nanu sur sa droite. Grand pont. Voilà que Maritimo mène 1-0. Sur l’île de Madère, le Benfica a perdu beaucoup plus qu’un match (2-0). Son honneur. Son histoire, avec des records de médiocrité qui tombent les uns après les autres. La crise est profonde.

Du jamais vu depuis 1931

Avant de décortiquer le pourquoi du comment, petit rappel des faits. Le 8 février, le Benfica se rend fièrement chez le FC Porto. Sur 29 matches en compétitions nationales, le SLB cumule 24 victoires, 4 nuls et une défaite (face à Porto, 0-2). Les Lisboètes s’inclinent (3-2) dans un Clássico heurté, voire houleux. Mais ils sont toujours leaders… pour l’instant. Derrière, le Benfica ne gagne que 2 de ses 9 matches de Liga Nos (4 nuls, 3 défaites). L’équipe est surclassée par le Shakhtar Donetsk en 16es de Ligue Europa (2-1, 3-3). Elle encaisse 4 buts à domicile contre Santa Clara (3-4), du jamais vu depuis mars 1997 en championnat. Elle enchaîne 5 matches sans victoire à domicile, du jamais vu depuis… 1931. Eusébio n’était même pas né.

Le revers à Maritimo est celui de trop. « Notre entraîneur Bruno Lage s’est adressé à moi à la fin du match avec beaucoup de dignité pour me dire : “Président, je vous remets ma démission car j’estime que les choses ne vont pas bien pour Benfica.” », déclare Luis Felipe Vieira en conférence de presse, sur un siège où Bruno Lage était attendu. Le coach portugais est résigné sur sa capacité à renverser la vapeur. C’est un fait : les joueurs ne sont plus là. « Tu vois le match, tu sens qu’il y a un aspect mental », constate Nicolas Vilas, spécialiste du football portugais sur les antennes de RMC Sport. Considéré comme prometteur il y a un an, le défenseur Ferro (23 ans) n’est que l’ombre de son ombre depuis le match à Porto. Avec, en point d’orgue, cette responsabilité maximale sur les deux buts de Maritimo lundi. Sa personnalité effacée contraste avec celle de son partenaire Ruben Dias, imparfait dans son jeu mais imprégné d’un leadership naturel.

« Les joueurs sentent quand un entraîneur est menacé »

Ferro n’est pas le seul aigle déplumé. Élu meilleur joueur de Liga Nos la saison passée, Pizzi a perdu le mojo. Le dynamiteur Rafa balbutie son football 80% du temps. Bruno Lage a beau changer son avant-centre, ni Seferovic, ni Vinicius, ni Dyego Sousa ne sont de grands attaquants. Qu’elle est loin, l’époque où le divin Jonas illuminait le secteur offensif, relayé par la pépite João Félix. C’était en 2019. Personne ne leur a succédé. Pardon, n’omettons pas Raúl de Tomás. Recruté au Real Madrid pour 20M€, l’Espagnol a cumulé 17 matches et 3 buts, entre blessures et contre-performances. Puis il a été revendu dès l’hiver au même prix à l’Espanyol Barcelone, où il a marqué 4 buts lors de ses 4 premiers matches. De Tomás symbolise une incapacité (momentanée ?) à flairer les bons coups, et qui coïncide avec une gestion maladroite des jeunes, entre ventes rapides et générations inégales. Car non, on ne forme pas un João Félix tous les ans.

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« Il y a tout un ensemble de choses, nuance Nicolas Vilas sur les récents résultats. Il y a des blessés, des suspendus. » Mais le journaliste n’écarte pas les erreurs commises par Bruno Lage : « Il fait appel à des joueurs sur lesquels il n’a pas misé le reste de la saison. Qu’est-ce qu’ils se disent ? “Tu m’as mis au placard toute l’année, j’ai pas envie…” Et c’est humain. » Un problème de gestion d’effectif. Ironique, quand on sait que Lage a redonné vie à Adel Taarabt, en équipe B puis en équipe première, où il s’est imposé comme le leader technique cette saison. « Je suis assez d’accord avec Sergio Conçeiçao (entraîneur de Porto, ndlr) sur son analyse à propos de Lage, pointe Nicolas Vilas. Le mec n’est pas devenu mauvais du jour au lendemain… »

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Le capitaine du Benfica, Pizzi, approuve. « C’est entièrement la faute des joueurs », regrette le milieu offensif au micro de Sport TV lundi soir. Et les dirigeants ? « Ce sont eux qui manifestent ou pas leur confiance, rappelle Vilas. Les joueurs sentent ça, quand un entraîneur est menacé ou pas. Quand tu vois, avant le match face au Maritimo, la presse qui dit que, peu importe le résultat, Lage va sauter… Ça vient bien de quelque part. » Lage est parti, et voilà qu’on parle d’Unai Emery ou Mauricio Pochettino pour lui succéder. Crédible ? Ces noms s’inscrivent dans une nouvelle logique de projet sportif au Benfica. Demain, l’Europe sera rouge ou ne sera pas.

Julian Weigl, avant-goût du nouveau Benfica ?

Il est difficile de prendre au sérieux ce «projet européen» dont les médias parlent pour l’avenir du SLB. Ce club qui a signé un zéro pointé en phase de groupes de Ligue des champions 2017-18. Cette équipe rapidement désarçonnée par le Shakhtar en Ligue Europa cette année. Mais l’alarmante situation à court terme entrave la vision de l’avenir. Le Benfica, c’est aussi ce club qui a posé 20M€ sur Julian Weigl, milieu de Dortmund courtisé par le PSG et Manchester City. Autant d’argent déboursé pour Pedrinho (21 ans), milieu offensif prometteur des Corinthians. « Je pense que le président Vieira veut un entraîneur d’expérience, afin de viser des recrues à l’international et avoir des résultats au niveau européen », raisonne Nicolas Vilas. Les pièces du puzzle se mettent en place, même si A Bola et Record s’accordent sur la non-venue de Pochettino, aux exigences salariales trop élevées.

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Voilà un des multiples obstacles à une ambition louable. Le Benfica peut-il tenir le coup économiquement, dans une Liga Nos à la manne financière loin de celles des 5 grands championnats européens ? Au détriment de performances continentales, le SLB a maximisé la mise en avant de ses jeunes ces dernières années. Le meilleur moyen de renflouer les caisses. Est-il possible de corréler les deux ? En 2013 et 2014, les Lisboètes enchaînent deux finales de Ligue Europa sans s’appuyer le moins du monde sur leur formation. Conséquence : João Cancelo, André Gomes ou Bernardo Silva passent à la trappe. L’équipe compose avec de jeunes prodiges à bas coût (Matic, Markovic, Rodrigo) et du flair (Lima, Enzo Pérez, Siqueira).

Ce « projet européen » se veut attractif, bien que «projet Ligue Europa» soit une appellation plus honnête. Une page pourrait bien se tourner au Benfica. Et déboucher sur un grand chapitre. Mais pour l’heure, une triste ligne va s’écrire. Champion en titre, le SLB compte 6 points de retard sur les Dragons du FC Porto, à 5 journées de la fin de saison. L’aigle est déchu. Là-dessus, au fond des forêts, le Dragon l’emporte et puis le mange. Sans autre forme de procès.

Crédit photo : Global Imagens / Icon Sport

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