Wissam Ben Yedder : Futsal, paradoxes et jeux de lumières

Neufs buts en neuf apparitions en ce début de saison. C’est la statistique que l’on voit reprise partout pour souligner le très bon début de saison de Wissam Ben Yedder avec l’AS Monaco. Ajoutez à cela une place de plus en plus importante dans le groupe France à juste un peu plus de six mois du prochain Euro et le tableau se révèle resplendissant. Le public tricolore se trouve un nouveau chouchou. Mais presque dix ans trop tard, et dans un contexte complètement inattendu.

Loin des yeux

On dirait que c’était il y a une éternité. Le gamin de Sarcelles qui commençait à faire du mal aux défenses de Ligue 1 avec le maillot violet et blanc du Téfécé sur le dos. Depuis tout ce temps, malgré un chemin marqué par de nombreux buts, on dirait que Wissam est comme passé sous le radar du grand public. Une longue parenthèse, un rêve que peu de gens accepteraient de croire quand il le raconterait, lui n’ayant jamais connu l’exposition d’une grosse écurie de Ligue 1, n’ayant jamais revêtu le maillot Bleu jusque très tard.

Au point de départ de son aventure relativement peu médiatisée, compte tenu de son niveau, on trouve la question de la formation. En effet, le Val d’Oisien fait partie de ceux qui n’ont pas suivi le cursus classique du footballeur via un centre de formation dès le plus jeune âge. Parmi les champions du monde, si un Griezmann ne s’est révélé que tard aux yeux de la France, c’est en raison d’un gabarit qui a rebuté les clubs de l’hexagone et l’a poussé à aller grandir en Espagne. Pour un Adil Rami, c’est simplement que le déclic est arrivé sur le tard pour prétendre accéder au haut niveau. Pour Ben Yedder, c’est dès le début l’histoire d’un garçon passé au travers des mailles des filets des recruteurs.

Très tôt, il découvre le futsal en parallèle de son apprentissage du football. Sur les parquets, Wissam se fait un nom, dans un sport encore classé confidentiel à ce moment-là. Sur les pelouses, c’est l’anonymat, le niveau régional et au mieux la CFA 2 dans le sport le plus reconnu des deux. Pour les 400-et-des-poussières supporters de Garges Djibson massés dans les tribunes du gymnase Allende Neruda, pas de doute : C’est le meilleur. De même chez ses ex-coéquipiers qui se souviennent d’un joueur à la vision de jeu, au toucher de balle et à l’intelligence tactique bien supérieure à la moyenne, s’amusant à faire un tour sur le banc pour observer quelques instants le déroulement d’une partie et le positionnement de chacun avant de rentrer sur le terrain pour faire des misères à une D1 Nationale Futsal encore bien peu structurée. Des qualités qui lui ouvriront brièvement les portes de l’équipe de France de Futsal (6 sélections, 1 but). Brièvement car le monde professionnel du football sonne finalement à la porte. Direction Toulouse, à déjà vingt ans.

Loin du coeur

Débarqué en Haute-Garonne en 2010, c’est en 2012 qu’il s’installe pour de bon dans le XI du TFC et dans le haut du classement des buteurs de Ligue 1. Habileté dans les petits espaces, deux pieds forts, un sens du déplacement et de la prise d’information en accéléré, une précision de frappe diabolique, le tout culminant à 1m70 de haut. Le foot français découvre un attaquant atypique, mais redoutable. Au profil qui n’aurait pas forcément réussi en suivant un parcours classique, mais qui est finalement arrivé là. Entre 30 et 38 titularisations pour 15 à 17 buts toutes compétitions confondues chaque saison sur les quatre exercices suivants. Une régularité effrayante pour un néophyte évoluant dans une équipe jouant au mieux le milieu de tableau durant les deux premières saisons puis le maintien sur les deux dernières avec une 17e place finale à chaque fois.

Un contexte qui, malgré ces chiffres, ne lui permet de se faire une place dans le gotha des attaquants les plus reconnus du public, qui voit devant lui des Aubameyang, Gignac et Lacazette sans compter les stars offensives parisiennes. Les clubs de l’élite, et notamment les européens du lot, semblent eux avoir compris de quel trempe est le joueur. Parmi eux, les deux Olympiques. Peut-être l’étape qu’il faut pour qu’un bon joueur de Ligue 1 bascule dans une catégorie supérieure, au niveau sportif et médiatique. Seulement, Toulouse le retient, encore et encore. Wissam, lui, plante, encore et encore. Lyon se rabattra sur Claudio Beauvue, Marseille sur Khlifa, Fletcher ou Batshuayi, fortunes diverses à la clé. Avec la triste impression que quelque chose ne s’est pas passé.

C’est finalement au FC Séville que le buteur pose ses valises en 2016. Le grand saut, d’un club jouant le maintien en L1 à un autre s’efforçant de rester la quatrième roue du tricycle espagnol Real-Barça-Atletico dans une Liga extrêmement compétitive, avec trois Europa Leagues en poche. Le garçon aime la difficulté. Il va être servi, entre oppositions de haut niveau et concurrence pas toujours saine (Luis Muriel ayant le même agent que plusieurs entraîneurs de Séville à cette période). Pendant deux saisons, il fait le dos rond, bosse et surtout continue de marquer. Trente-six apparitions pour 13 puis 19 buts. Des statistiques honorables, qu’il soit titulaire ou bien remplaçant, comme un certain 13 mars 2018.

Tout vient à point…

C’est sûr, l’Espagne reconnaît en lui un bon buteur, fait pour son football. Mais que l’Andalousie semble loin de la France. Jusqu’à ce soir, où entré en jeu face à Manchester United en huitièmes de Champions League, il décide du sort du match en quatre minutes d’un doublé, envoyant Séville en quarts. Un fait d’armes qui fait le tour du monde et vient auréoler une saison toujours plus impressionnante que la précédente. Dix jours plus tard, Ben Yedder devient international français, à 27 ans. En un temps où l’international d’aujourd’hui est déjà celui de demain, et l’est donc le plus tôt possible, l’ex-toulousain est à contre-courant. Et cette si précieuse mais éphémère sélection semble rapidement promise à ne pas se reproduire. Une difficulté. Donc Wissam bosse. Sa troisième saison en Andalousie est le plus aboutie. Plus que jamais garant de la réussite offensive de son équipe, il marque 28 buts en 48 apparitions, et retrouve enfin les bleus en juin dernier.

Depuis, il est de toutes les listes. Simple alternative crédible à Giroud ou titulaire en puissance à quelques encablures du prochain Euro ? Encore difficile à dire. Mais Didier Deschamps semble avoir compris que si un Giroud permet de passer en force dans des espaces fermés, Ben Yedder sait lui les ouvrir pour permettre aux Griezmann, Mbappé ou autres Coman de s’y engouffrer, comme il l’a démontré à chacune de ses sélections. Et au vu de la situation des autres numéros 9 français, le public tricolore commence à se faire à l’idée que Wissam sera de ceux sur qui il faudra compter lors des grandes échéances à venir.

C’est donc dans la peau d’un international que Ben Yedder est revenu en Ligue 1 cet été. Un choix qui pourrait s’avérer payant dans ses ambitions internationales. Un paradoxe complet, dans un sens, puisqu’il quitte un club européen pour revenir chez des monégasques ayant toutes les peines du monde à décoller de la deuxième partie de tableau, et qu’il revient profiter de l’exposition à son public à… Monaco. Enfin bref, si ce n’est à Louis II, tout le monde se sera bien aperçu d’une façon ou d’une autre que son duo avec Islam Slimani est la seule valeur sûre ou presque d’une équipe qui cherche à redorer son blason après une saison cauchemardesque. Ben Yedder, nouvelle figure de proue de l’ASM, bientôt parmi les visages qui comptent pour de bon en Bleu ? Et si se poser une telle question était déjà une magnifique victoire ?

Photo crédits : Iconsport

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