À 32 ans, Thomas Heurtaux a fait le choix de l’exil en Slovaquie, au FK Pohronie, après plusieurs mois sans club. Son challenge exotique, ses années fastes à l’Udinese, les galères d’une carrière et son lien fusionnel avec le Stade Malherbe de Caen… Le défenseur raconte son nouveau quotidien sans éluder ses belles années françaises et italiennes.
Dans notre saga «Les exilés», Ultimo Diez va à la rencontre de footballeurs français qui mènent leur carrière à l’étranger, par choix ou contrainte, parfois dans des pays dits exotiques. Retrouvez nos précédents numéros en bas de cette page.
Ultimo Diez – Comment se passe ta nouvelle expérience en Slovaquie ?
Thomas Heurtaux – Je suis arrivé en janvier. Tout se passe bien au niveau de l’intégration et de la reprise sur les terrains. Je commence à enchaîner les matches, ce qui est positif. Je suis bien installé avec ma famille. Je dois dire qu’on a été très bien accueillis.
Le FK Pohronie, c’est une destination plutôt inattendue… Comment s’est faite ton arrivée là-bas ?
J’étais sans club au début de la saison, donc je discutais à droite à gauche. Les dirigeants m’ont contacté une première fois en novembre. J’avais d’autres pistes donc je n’ai pas immédiatement donné suite. Finalement, ils m’ont convaincu lorsque j’ai visité les installations.
Justement, quand on est une équipe slovaque méconnue, comment est-ce qu’on convainc un ancien cadre de Serie A ?
Ils ont pas mal insisté en me faisant voir des vidéos du championnat et en m’expliquant le projet. J’ai senti beaucoup de sincérité et un environnement sain. C’était le plus important pour moi : le contact humain. Ils m’ont fait comprendre que les deux partis avaient à gagner au change. Puis niveau ballon, ça joue. Je pense que ça vaut une Ligue 2. À 32 ans, j’ai envie de rejouer au foot et on s’est trouvés.
Un jour, tu te rends compte qu’à un moment donné, ton «oui» ou ton «non» conditionne une belle partie de ta vie.
Thomas Heurtaux
La vie locale, c’est comment ?
C’est très européen. En ce moment tout est fermé avec le Covid, donc je n’ai pas beaucoup d’éléments pour décrire la vie ordinaire. En tout cas, on est à deux heures de Bratislava (la capitale, ndlr) et la ville est sympa.
On entend parler de temps à autre de l’équipe nationale qui disputera son deuxième Euro consécutif cet été. Est-ce qu’il y a un vrai engouement pour le foot en Slovaquie ?
C’est un des sports majeurs avec le hockey et le basket. Il y a une base intéressante avec la sélection et quelques noms, notamment Hamsik et Skriniar. Les bonnes structures montrent que c’est un sport qui attire du monde.
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Le FK Pohronie, c’est un club qui mise traditionnellement sur des joueurs étrangers ?
À la base pas vraiment. Il y a surtout des joueurs slovaques. Mais cette saison, ça a un peu changé. Ils étaient mal en point au niveau du classement donc ils ont tenté un coup en approchant des étrangers à la relance dans les championnats français, italiens et suisses. Ils ont pu se le permettre parce que l’atmosphère est saine. D’ailleurs, le fils de Lucien Favre a racheté une partie du club récemment. C’est aussi un des aspects qui m’a séduit : il y a de la stabilité et un projet cohérent.
Comment expliques-tu ta sortie des radars alors que tu jouais encore en Serie A il y a trois ans ?
C’est la vie du footballeur tout simplement. Quand tu n’as plus de clubs, tu te retrouves rapidement dans une situation difficile. Tu as plein d’offres, mais pas forcément dans les pays qui te conviennent. On passe notre vie face à des choix. Quand tu commences ta carrière, tu n’y comprends pas grand-chose. Puis un jour, tu te rends compte qu’à un moment donné, ton «oui» ou ton «non» conditionne une belle partie de ta vie.
Tu fais allusion à la fin de ton aventure à l’Udinese ?
Après Udine, j’ai rejoint la Turquie (MKE Ankaragücü) puis la Serie B (Salernitana) où je n’avais jamais joué, et j’y ai connu pas mal de galères. En fait, ça remonte même à mon prêt à l’Hellas Vérone (2017-18). Je sortais de deux excellentes saisons et j’avais eu de belles offres que le président a refusées. J’ai rempli mon contrat envers le club, mais j’ai été bloqué faute d’une offre supérieure à 10 millions. À partir de là, c’est allé très vite dans l’autre sens, un entraîneur avec qui je n’ai pas un bon feeling arrive sur le banc. J’ai des pépins physiques, et puis surtout, j’ai été mal conseillé.
C’est-à-dire ?
J’ai eu un agent français, puis un agent italien qui m’a emmené à Vérone. Il n’a pas été correct. J’avais eu des propositions plus élevées, mais j’ai finalement rejoint l’Hellas. Je joue les six premiers mois. La suite de la saison, on m’évince du groupe. Pourquoi ? Parce qu’il y a une prime à payer… Les gens jouent avec ta carrière, c’est ça qui me rend fou. Combien d’épisodes comme celui-là compte-t-on chaque saison ? Ça me fait dire que le joueur n’est pas maître de grand-chose. «Fais le job en match, viens une heure avant à l’entraînement, pars une heure après, alimente toi bien…», c’est la théorie pour réussir. En pratique, on peut aussi te mettre à la cave pour une clause.
J’y serais resté toute ma vie à Caen, c’était trop bien.
Thomas Heurtaux
On te sent consterné voire frustré par ces dynamiques malveillantes du foot…
Le foot est fait ainsi. Tu attires l’argent, la spéculation et des intérêts pas toujours convergents. C’est forcément explosif. C’est partout comme ça, même en France. Beaucoup de gens parlent d’abord pour leurs intérêts. Pour moi la frustration principale, c’est que le foot n’a jamais été une question d’argent, mais que je suis entouré de cet argent. Partir de Caen, c’était un choix sportif. J’étais conscient que je n’avais plus de marge de progression et que je risquais de glisser dans une zone de confort. J’y serai resté toute ma vie à Caen, c’était trop bien.
Lors de ton passage à l’Udinese, le club a lancé quelques joueurs qui ont explosé par la suite : Bruno Fernandes, Luis Muriel, Mehdi Benatia, Piotr Zieliński, pour ne citer qu’eux. Quel coéquipier t’a le plus impressionné ?
C’est difficile de citer un de ces joueurs plutôt qu’un autre. En tout cas, tous ces noms montrent que l’Udinese a toujours été très forte pour débusquer des joueurs, puis les faire exploser. La plupart ont eu un déclic parce que le club est un modèle en Italie. C’est une école de foot où on te donne tout pour réussir. Tu veux faire de l’entraînement spécifique ? On te donne un coach. Tu veux un kiné ? On te donne le meilleur kiné. À toi de saisir ta chance derrière.
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Tu as joué 130 matches en France, 135 en Italie. Selon toi, où est-ce que ta cote est encore la plus haute ?
Mon nom est plus cité en Italie, c’est sûr, et surtout ça fait trop longtemps que je suis parti de la France. Le foot a la mémoire courte.
Et sur le marché des transferts ?
En Italie aussi, mais c’est lié. Après j’ai eu des propositions de clubs de Ligue 1. Mais mon nombre de matches joués devenait un problème. Il y avait des doutes sur mes capacités physiques. La vérité, c’est que quand tu regardes : à l’Hellas je ne joue pas pour une clause. En Turquie, je suis évincé parce qu’on ne veut plus me payer. On en revient aux fameuses dynamiques. Aujourd’hui, j’ai envie de penser au présent, après bien sûr que revenir en France est dans un coin de ma tête.
Tu t’attends à la petite question finale sur le Stade Malherbe de Caen alors…
(Il rit) Il y a eu des contacts. Honnêtement, tous les mercatos, on s’appelle de manière amicale sans qu’il y ait forcément d’offre concrète. J’espère y retourner un jour. Mais si je dois y revenir, c’est à 100% mentalement et physiquement. J’y reviendrais pour montrer ce que j’ai appris et pour aider le club, pas pour des vacances ou une pré-retraite.
Merci au FK Pohronie et à Thomas Heurtaux pour sa disponibilité.
🎙 Propos recueillis par Colomban Jaosidy.
Crédit : Iconsport & FK Pohronie
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