Les exilés #4 – Hugo Boumous : « En Inde, je lie l’utile à l’agréable » 

Formé à Laval, Hugo Boumous n’arrive pas à lancer sa carrière en France. Le milieu tente alors l’aventure au Maroc où il rencontre Sergio Lobera, un ancien entraîneur de la masia. C’est ce dernier qui fera appel à lui pour le rejoindre en Inde, au FC Goa. D’abord sceptique, le joueur de 24 ans y découvre un potentiel footballistique important et un cadre de vie agréable.

Comment as-tu vécu ta formation en France ?

Je commence dès le plus jeune âge au Stade Rennais, puis je vais au Stade Lavallois. J’y fais toute ma formation avant de signer un contrat professionnel en 2015. A ce moment-là, c’est compliqué parce que l’entraîneur ne me donne pas ma chance. Lorsque j’ai enfin une opportunité de jouer titulaire en Ligue 2, à 18 ans, je marque et je fais un gros match, mais la saison d’après, je retourne en CFA. C’était dur à vivre. Je sais que j’ai aussi ma part de responsabilité, j’étais jeune et pas assez discipliné pour le monde professionnel.

Pendant mes deux ans à Laval, je joue aussi avec la sélection olympique marocaine, mais je me fais malheureusement exclure de l’équipe pour une erreur de jeunesse. Ça m’a fermé des portes et notamment celle d’un club de National. Je tente alors ma chance au Maroc, le pays de mon père en signant trois ans au Moghreb Tétouan.

Quel souvenir gardes-tu de ton expérience au Maroc ?

Ma première année se passe très bien. Avec Sergio Lobera, le coach, on se comprend, on a la même mentalité. Je faisais partie des plus jeunes joueurs du championnat et je jouais dans un top club du pays. Par contre, en terme de salaire et d’organisation, c’était très compliqué car le joueur n’est pas respecté. Finalement j’en garde un très mauvais souvenir, notamment à cause des magouilles.

Après ma première saison, l’entraîneur espagnol part. Un club émirati était intéressé par mon profil mais à cause de mon président, ça ne s’est pas réalisé. Pareil pour un club de 3e division anglaise, avec qui mes essais avaient été concluants sauf qu’au dernier moment, mon club a refusé mon départ alors qu’un accord avait été trouvé. Après mes essais en Angleterre, je reviens au Maroc alors que le championnat a commencé et le président affirme qu’il ne m’avait pas donné son accord, concernant mes essais là-bas. Je prends donc une grosse amende et c’est vraiment là que le cauchemar a commencé. On a eu cinq entraîneurs en six mois ! Je ne prenais plus aucun plaisir et j’ai décidé de rompre mon contrat, quitte à perdre beaucoup d’argent.

Comment s’est passé ton transfert en Inde ?

Au mercato hivernal 2018, Sergio Lobera, mon premier entraîneur au Maroc, a appris que j’étais libre de tout contrat. Il a alors libéré une place d’étranger au FC Goa pour me faire signer et j’ai pu finir la saison avec mon nouveau club. C’est lui est venu me chercher.

Comment as-tu appréhendé cette nouvelle aventure ?

J’avais suivi le lancement de l’Indian Super League il y a quelques années, avec des stars qui étaient venues pour faire connaître le championnat. Pour mon entraîneur, je suivais un peu et j’avais aussi quelques anciens collègues qui jouaient en Inde, donc j’avais un œil sur le championnat. Ça me paraissait fiable en terme de moyens et d’infrastructures pour ressembler au maximum aux grandes ligues européennes, donc ça m’a rassuré.

Comment se passe ton début de saison ?

Malgré une petite blessure qui m’a fait louper quelques matchs en début de saison, ça se passe bien. Il y a seulement 18 matchs de saison régulière avant les play-offs pour les quatre meilleures équipes, donc je n’ai pas de temps à perdre. Avec mon équipe, on est en tête du championnat et je fais des bonnes performances, donc espérons que ça dure.

De quel niveau sont tes infrastructures en Inde ?

On a un beau terrain, des beaux vestiaires. Je vis un peu dans le luxe, puisque je suis placé dans une résidence avec une piscine et en face, il y a un hôtel magnifique. L’équipe y mange, matin, midi et soir et on peut profiter des services de l’hôtel : la salle de musculation, le spa, etc. Quand on joue à l’extérieur, on fait nos trajets en avion et on joue dans des grands stades et sur de belles pelouses.

Comment t’es-tu adapté à ce nouveau pays, ce nouveau football et cette nouvelle culture ?

Mes premières semaines ont été très dépaysantes. Le climat y est très agréable, mais pour faire du sport, c’est un peu plus compliqué car il fait très chaud et très humide. Le corps doit s’adapter pour éviter les blessures.

Ça me fait aussi très plaisir de découvrir une nouvelle culture, tellement éloignée de celle de la France. Les gens ici sont très accueillants, très gentils. En France, on n’a pas un très bon a priori de l’Inde et c’est vrai qu’il y a pas mal de problématiques liées à ce pays, comme la pauvreté et la surpopulation.

Niveau langue, tout le monde parle anglais et c’est une langue que je maîtrisais avant de venir donc ça a facilité mon adaptation. Je parle aussi espagnol, ce qui est pratique pour discuter avec mon staff ou certains de mes coéquipiers.

« L’Inde a un potentiel footballistique »

Comment juges-tu le niveau du championnat indien ?

Il y a un fossé entre les joueurs étrangers et les Indiens. Un quota de joueurs étrangers est mis en place (7 dans l’effectif, 5 sur le terrain). On retrouve donc de très bons joueurs, qui ont aux alentours de la trentaine. Certains ont le niveau Ligue 2, voire Ligue 1 selon moi. Parmi les étrangers, on est très peu de jeunes. Dans l’ensemble, le niveau des joueurs indiens est plus faible, ça se ressent qu’ils n’ont pas reçu la même formation et qu’ils n’ont pas la même exigence de travail que ceux formés en Europe.

Sergio Lobera, ton coach, était entraîneur des jeunes à Barcelone et a donc côtoyé Fabregas ou Busquets notamment. Qu’est-ce qu’il t’apprend au quotidien ?

D’un point de vu tactique et technique, il me laisse beaucoup de libertés sur le terrain. Il me laisse prendre les choses en main et exprimer mon jeu, mais il ne m’aide pas que sur le terrain. Avec lui, je grandis aussi en tant qu’homme.

Robert Pires a joué dans le même club que toi. Est-ce que ça a influencé ton choix de venir ici ?

Si un tel nom est venu en Inde, c’est que ce championnat est sérieux et professionnel, donc oui, forcément. L’Inde a un potentiel footballistique qui peut s’exprimer sur les prochaines années, je peux le voir à la façon dont mon club grandit. Il a été créé il y a cinq ans seulement et des partenariats sont déjà noués avec des clubs européens pour la formation. Une académie est également en train d’être créée.

Y a-t-il un engouement pour le football dans ce pays ?

Ça vient petit à petit. Le sport numéro 1 en Inde reste le cricket, mais à Goa, comme dans d’autres états du pays, le football est très populaire. A chaque match, environ 15 000 spectateurs garnissent notre stade de 20 000 places. Les Kerala Blasters (club du Sud-Ouest de l’Inde) ont également une fanbase incroyable. Certaines équipes peuvent jouer devant 30 000 spectateurs, comme d’autres devant 5 000 personnes.

« Je sens que je mérite une autre carrière »

Que peux-tu nous dire sur ton quotidien en Inde ?

Je vis dans une petite ville, ça m’arrive de m’ennuyer un peu étant donné que je vis seul. J’envisage donc de reprendre mes études à distance pour préparer l’avenir. Concrètement, mon quotidien est fait de football, de repos, de plages et de piscine. Je ne vais pas me plaindre, je sais que j’ai la belle vie. Quand on joue à l’extérieur, on part souvent trois ou quatre jours avant le match pour s’acclimater à la région, donc je suis souvent en déplacement.

Te vois-tu y rester longtemps ?

Je suis partagé… Ici, j’ai tout ce qu’il me faut. J’ai un très beau contrat, qu’il serait difficile de retrouver en Europe. Je m’épanouis dans mon métier et dans ma vie en Inde. Et d’un autre côté, j’ai conscience de mes aptitudes et je sens que je mérite une carrière plus adaptée à mes capacités. J’ai fait des erreurs quand j’étais jeune, mais si aujourd’hui j’ai l’occasion de revenir en Europe ou de découvrir une ligue plus compétitive, je ne dirais pas non.

Te voyais-tu voyager grâce au football ?

Je pensais surtout à lancer ma carrière, en France ou en Europe. J’aime énormément voyager, dès que j’ai des vacances j’en profite pour m’ouvrir à de nouvelles cultures, c’est ça la vie pour moi. Je lie l’utile à l’agréable.

Est-ce que tu te vois revenir en France à court ou à moyen terme ?

La France ça reste mon pays de cœur. Par an, j’ai cinq mois de vacances donc j’y retourne à chaque fois. L’été, je le passe en France et l’hiver, je le passe en Inde ! Je ne connais ni le froid, ni la pluie donc c’est la belle vie. Je pense qu’à terme, je serai amené à vivre en France, mais je ne me pose pas encore la question.

Crédit photo : Indian Super League

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