Les différentes trêves internationales et leur lot d’affrontements de sélections ne manquent jamais de soulever différents débats. Si celui qui veut que le niveau des pays soit très inférieur à celui des clubs vaut son pesant d’or, c’est aujourd’hui une autre question qui retient notre attention : et si le niveau des sélections s’était effondré par rapport à il y a 10 ans encore ?
L’âme en peine se réchauffe souvent par le jeu de la mélancolie nostalgique. Cette flamme, pourtant, bien que réconfortante si on la côtoie, ne manquera pas de brûler si on l’embrasse.
En football comme ailleurs, la beauté du passé est souvent si enivrante qu’il est impossible de lui résister. Après tout, qui ne prend pas de plaisir à visionner à nouveau les grands talents qui foulaient alors les prés de son enfance ? Mais si les sentiments guident les âmes, la raison, elle, doit guider l’esprit. Quelles seraient alors les raisons qui permettraient de considérer que le niveau des sélections ait chuté en quelques années?
Le juridique, croque-mort des nations
Le premier facteur qui permettrait d’expliquer cette sensation de chute du niveau des sélections nationales lors de la dernière décennie est juridique. Il s’agit de l’arrêt Bosman, qui a fait l’objet d’une étude approfondie et qui a eu pour conséquence la destruction totale de la compétitivité de nombreux championnats (Pays-Bas, Serbie, Croatie, Roumanie, etc…).
Étrangement, le niveau de toutes ces nations a chuté. Les grands talents qu’elles produisaient se font bien plus rares. L’éclatement de la Yougoslavie, lui, n’a pas manqué d’achever ce tableau. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer le niveau des clubs les plus compétitifs de ces pays qui, hier encore, étaient majoritairement composés de nationaux. Le Steua Bucarest est un club de troisième zone, l’Étoile Rouge de Belgrade aussi. Le Dinamo Zagreb n’existe qu’au niveau national, le PSV Eindhoven aussi. L’Ajax d’Amsterdam, enfin, sort du tunnel mais après combien d’années et pour combien de temps encore avec une si faible compétitivité économique ?
Où sont passés les stars Gheorghe Hagi, Hristo Stoitchkov, Davor Suker, Ferenc Puskas, George Best, où sont passés les Andriy Schevchenko et les Pavel Nedved ? Qu’est devenue la Hongrie, elle qui produisait tant de talents ? Que sont devenues ses sœurs Roumanie et Bulgarie ?
D’aucuns rappelleraient que la Croatie s’est illustrée en Coupe du monde 2018. C’est vrai, mais il est aussi vrai qu’aucun joueur parmi les 23 (à l’exception du troisième gardien, qui n’a pas disputé une seule seconde) n’évoluait au pays.
Un football éclipsé par deux étoiles
Le premier facteur impactant essentiellement les Européens, un autre facteur permettrait d’expliquer cette sensation : c’est celui de l’omniprésence de Cristiano Ronaldo et Lionel Messi.
De tels joueurs n’ont jamais manqué de capter à la fois l’ensemble des trophées existants mais aussi l’attention médiatique. De grands joueurs ont débuté voire même déjà terminé leur carrière sous l’ère Ronaldo-Messi sans avoir eu droit à la lumière qu’ils auraient pourtant méritée. C’est ainsi que le football du début des années 2000 s’avérait très différent, avec une multitude de grandes stars qui s’affrontaient dans des joutes faramineuses où tous pouvaient briller.
Le Brésil d’alors ne se reposait pas que sur le seul Neymar qui survole sa sélection aujourd’hui. En attaque, Rivaldo, Ronaldo, Bebeto, Romario, Ronaldinho puis Adriano et Robinho se disputaient alors les places. L’effectif était constitué de joueurs dont le niveau paraissait alors si extrême que la comparaison avec les actuels fait forcément pâlir ceux qui sont nés dans les années 90. Ainsi, Sneidjer, Robben, Kaka, Gerrard ou Lampard, pourtant d’immenses talents, ont pris leurs retraites dans une relative indifférence. Leurs clubs, eux, ont été victimes de l’attention que captaient Real et Barça.
Une telle rivalité semble, aux yeux d’un non-expert, unique dans l’histoire du football. Elle sera, quoi qu’il arrive, le principal point de repère pour ceux qui voudront bien narrer cette époque tandis que la génération précédente pouvait se vanter de parler au vrai pluriel via Beckham, Zidane, Figo et consorts.
Le football aurait, évidemment, changé
Le troisième et dernier facteur envisagé est celui de l’évolution du football. Oui, il aurait changé, encore une fois. Mué, même, avec les claques Guardiola et Espagne de la fin des années 2000. Il aurait laissé place à de nouveaux profils, à de nouveaux schémas, à de nouvelles façons de penser le football qui en auraient tué d’autres.
L’arrivée du football de possession haute, de recherche de verticalité, de multiplication des passes, a sans nul doute eu un impact sur l’évolution du football. Les profils “petit mais technique” se sont multipliés et ont contraint à l’adaptation ou à la désillusion des entraîneurs qui souhaitaient réussir au plus haut niveau.
Si le football a changé par le jeu, il a aussi évolué par la mise en scène de ce jeu. C’est dans cet exercice qu’excellent, évidemment, les Anglais et leur Premier League où un jeu de caméra intelligent, une pelouse impeccable et un habillage élégant parviennent à rendre intéressant un vulgaire Watford – Southampton.
Anglais et Espagnols (par leur niveau plus que par leur marketing) captent ainsi l’ensemble des talents et mettent en difficulté -à défaut de les mettre à mort comme leurs cousins d’Europe de l’Est- leurs voisins allemands, italiens et français. Le calcio italien, surtout, semble être celui qui a le plus souffert de cette évolution. Ses stades vieillissants et son jeu réputé très fermé et tactique lui ont couté en compétitivité et celle-ci, évidemment, n’est pas sans impact sur les pays.
De tels arguments paraissent donc audibles. Il doit cependant y avoir un facteur qui permettra de fortement contrebalancer cette opinion.
Le football n’est qu’une grande histoire de cycles
Les passions ont ceci de beau qu’elles éveillent tout autant qu’elles consument. C’est là leur dessein : les hauts moments sont des sommets escarpés, les bas des gouffres absolus. Le football ne manque pas de confirmer cette règle. C’est avant tout une histoire de cycles qui tournent et alternent. Après tout, aucun club ni aucun pays n’est jamais resté au top en tous temps.
Le Brésil, par exemple, a déjà connu une période de disette, entre 1978 et 1990. Elle a été suivie par 3 finales d’affilée en Coupe du monde, dont deux gagnées. Les Pays-Bas, de même, ont déjà connu pareilles difficultés. En 2002, ils n’étaient pas qualifiés en dépit d’une demi-finale en 1998 (pareil scénario s’est reproduit en 2018) et de grandes stars comme Ruud Van Nistelrooy ou Edgar Davids. L’Italie est elle aussi concernée par ce scénario.
Ainsi, et s’il est vrai que les nombreuses nations d’Europe de l’Est risquent de connaître de grandes difficultés à retrouver un niveau réellement compétitif, elles laissent place à des nations africaines qui, elles, sont en progression quasi constante. La Côte d’Ivoire, le Sénégal, l’Algérie paraissent en capacité de faire office de surprise lors des prochains grands évènements.
D’autres nations, enfin, considérées comme en grand recul, ont su rebondir après avoir connu la chute, comme l’Uruguay, le Chili ou la France. Cette dernière, comme le Portugal, semble avoir devant elle une nouvelle génération extrêmement intéressante qui lui promettra, après l’abime, la lumière.
Crédit photo: Alexey Kudenko / Sputnik / Icon Sport