Marcelo et la renaissance des cœurs

Quand les cœurs deviennent inertes et froids, l’humanité perd de son essence. Quand ils perdent leurs plus belles qualités, les hommes déshonorent leurs rangs. S’enracinent dans nos cœurs des fleurs que l’on fait naître grâce à nos principes. La vertu découle de l’habitude à être bon ; ce n’est plus un combat contre notre âme, c’est un plaisir de propager le bien. Mais quand nos intérieurs pourrissent, ce sont tous nos êtres qui perdent de leur utilité.

Mais à qui la faute ? Les cœurs noirs naissent-ils en même temps que les hommes ou le deviennent-ils grâce à l’obscurité de leurs pêchés ? Pour répondre, citons Jean-Jacques Rousseau : “Je voudrais que [..] le jeune homme sache que l’homme est naturellement bon, qu’il le sente, qu’il juge de son prochain par lui-même ; mais qu’il voie comment la société déprave et pervertit les hommes » L’homme naît donc faible physiquement, intellectuellement et intérieurement, mais indéniablement bon. Nos cœurs deviennent corrompus à cause du vice de notre monde. Nos mœurs se pervertissent, nos relations se fragilisent donc nos vertus s’épuisent.

Fort heureusement, il existe des personnes faisant renaître les cœurs. Ils ne sont que des hommes donc inévitablement égaux à nous. Ils n’ont aucun pouvoir divin permettant de nous ressusciter. Mais ils ont un don qu’ils appliquent à la perfection. Parfois, le football se transforme en art. L’homme s’élève grâce à son talent céleste. Ainsi, certains ne sont plus de simples footballeurs, ils se transforment en virtuoses. Le sport ne devient qu’un prétexte, car leur but à eux, est de répandre l’amour. Le football est la plus belle des dramaturgies qu’il existe, alors certains nous le font vivre grâce à l’émotion. De par la quintessence de leur art, ils font revivre nos cœurs. Marcelo en est l’un d’eux, il en est même leur roi. Comme tout champion, triompher est son objectif. Mais son plus grand rêve, c’est que nos cœurs s’imprègnent de lui. En jouant, il ne fait pas que de nous divertir, il se faufile dans nos âmes. Hommage à Marcelo ou quand le football permet la renaissance des cœurs.

La Décima, le début de la renaissance

 

24 Mai 2014, le jour où Sergio Ramos s’envola. Le défenseur andalou vient d’égaliser dans le temps additionnel sauvant son peuple d’une éternelle tristesse. En allant caresser les étoiles, il ne le savait pas, mais Sergio Ramos était en train d’écrire l’histoire. Depuis ce miracle, le Real Madrid n’est plus sur le toit du monde, il est dans les étoiles. Mais pour arriver à ce stade, ce serait un euphémisme de dire que la route fut longue. Des années cauchemardesques faisant honte à notre histoire, une réussite nous abandonnant seuls face à nos doutes. Alors ce soir-là, le Real ne voulait pas gagner une simple C1, il voulait retrouver le bonheur.

Gareth Bale marquera quelques minutes plus tard le second but après un super travail d’Angel Di Maria. Le score (4-1) sera cruel mais truffé d’enseignements qui traverseront les générations. L’un d’entre eux est l’un des plus importants, c’est celui de Marcelo. Auteur d’une saison morose à cause des blessures à répétitions, le latéral brésilien a vu Fabio Coentrao lui passer devant. Marcelo n’était plus en jambes, il n’était plus concerné. On avait si peur de le voir partir, lui qui aurait pris son jeu fantasque et sa joie de vivre dans sa valise.

Marcelo s’avança la balle au pied et ira à la conquête de ses rêves. Épuisés, les matelassiers s’écarteront de son chemin, nous rappelant un certain récit prophétique à la morale infinie. Le football n’est pas qu’un simple sport, il en devient une histoire personnelle. Le récit d’un homme revenant de loin, puisant dans son jeu toute l’émotion du monde. Alors, quand il marqua le but du break, Marcelo fut bouleversé. Son cœur ne deviendra qu’un océan où ses sentiments navigueront. Ce soir-là, le génial latéral fut totalement inondé par ses émotions. Dans un état que l’on ne pourrait résumer, les pensées du Brésilien ne cohabitent plus, elles le submergent.

Après avoir célébré avec Gareth Bale, Marcelo embrassera le sol. Reprenant un peu ses esprits, il célébrera avec hargne et montra le maillot du club qu’il aime depuis toujours. Finalement réconforté par Iker Casillas, le Brésilien pleurera, et ce pour toute la soirée. Il partagera ses larmes avec tout le peuple madridista, contrastant avec le sourire de Zinédine Zidane pour le consoler. À ce moment-là, Marcelo le sait : il n’a pas seulement gagné la Décima, il est revenu à la vie.

La mort des corps

 

Malheureusement, Marcelo reviendra vite sur Terre. La Coupe du Monde chez lui sera une catastrophe pour toute une nation entière. Son pays se fera humilier sur ses terres face à l’Allemagne. Perdre est acceptable tant qu’il ne touche pas à notre honneur. Quand nous nous en prenons sept à la maison, nous perdons plus qu’un match : nous perdons notre fierté. Cette catastrophe résonnera comme un cataclysme. En perdant 1-7 chez lui, le Brésil n’a pas seulement pris une leçon de football, il a fait honte à son histoire incroyable. Et n’a toujours pas profité de l’incroyable chance d’avoir Marcelo et Dani Alves sur ses côtés.

Quelques jours avant la demi-finale, Marcelo perdra son grand-père. Alors oui, Marcelo fait renaître les cœurs mais d’une manière plus abstraite et poétique. Grâce à sa merveilleuse adresse qui rend son art si beau. Grâce aussi à toute la joie qui découle de son football. Mais Marcelo n’est finalement qu’un homme. Alors comme tous les êtres humains de cette Terre, il ne peut retenir l’âme s’envolant dans l’autre monde.

Dans la vie du génial latéral, son grand-père Pedro aura joué un rôle essentiel. En effet, avec le divorce de ses parents, ce seront ses grands-parents qui éduqueront ce surdoué du football. Mauvais élève, sa grand-mère lui privera de sa balle comme punition. Pedro lui en achètera une autre en cachette, et développera avec son petit-fils une relation formidable. Celui que Marcelo qualifie « d’ange-gardien » s’éteindra donc en Juillet 2014 d’un cancer. Pour toujours se rappeler de lui, Marcelo s’était tatoué son prénom sur le bras. Lors de cet été, Marcelo n’est plus : il ne peut plus exprimer sa joie dans le football et ne peut pas s’immiscer dans nos cœurs. Une part de Marcelo meurt, et pour notre plus grand malheur.

Le toit du monde

 

Après un début de saison 2014-2015 compliqué, le latéral merengue reviendra enfin en forme en automne. Doté d’une technique extraordinaire, Marcelo est un provocateur pouvant dynamiter toutes les défenses du monde. Le Brésilien a une palette technique formidable et sent le jeu comme aucun latéral. Avec un jeu basé sur son agilité, le numéro 12 madridista est déstabilisant. Son football n’est que l’image copie conforme de l’homme qu’il est : il respire la vie.

Marcelo vient du Brésil, il est ainsi doté d’une qualité technique extraordinaire, mais aussi d’une condition physique atypique. Alors, quand Marcelo grossit, c’est tout son jeu qui perd de son essence. Il a dû travailler deux fois plus pour revenir physiquement et s’imposer comme l’un des tous meilleurs à son poste. Enfin. Sur le plan individuel, sa saison 2014-2015 sera bonne. Il confirmera son regain de forme lors de la saison suivante avec l’obtention de la Undécima. Nos cœurs peuvent enfin se rassurer, Marcelo est de retour sur le toit du monde.

Depuis fin 2014, Marcelo est de nouveau sur le devant de la scène. Mais cette saison, il était en lévitation, caressant les étoiles. Dans le Real Madrid de Zinédine Zidane, les latéraux ont énormément d’importance car ils ont beaucoup d’espace pour s’exprimer. Ainsi, Marcelo et Dani Carvajal ont été essentiels dans la saison historique des madridistas. Les deux ont été ultra-décisifs tout au long de la saison, grâce à leur qualité de centre et leur percussion. Parfois, ils ont même été les seules bonnes notes d’un collectif madrilène défaillant, faisant preuve d’énormément de régularité tout au long de la saison.

Marcelo et la revivification des cœurs

 

Toutefois, le début de saison 2016-2017 du Brésil fut peu évident. Désintéressé, le Brésilien a encore la tête aux vacances jusqu’au début de l’automne. Il rehaussera considérablement son niveau de jeu ensuite, redevenant le latéral essentiel à son équipe que l’on connaît si bien. Un petit coup de moins bien interviendra début 2017 à cause de l’accumulation des matchs. Bien trop utilisé, le madrilène accusera le coup physiquement et psychologiquement. S’en suit ainsi une période où son jeu perdra de folie, et préférera centrer que provoquer sur son côté. Avec le repositionnement de Cristiano Ronaldo dans l’axe, l’équipe fut très déséquilibrée, et c’est Marcelo qui en a fait les frais.

Mais le déclic sera au Santiago Bernabeu face au Bayern Munich. Décisif défensivement et offensivement, M12 marquera les esprits. Il réalisera un mach extraordinaire, à jamais dans l’histoire de la Ligue des Champions. L’une des performances individuelles les plus marquantes de la saison, assurément. Cette année, le madridista sera le latéral le plus décisif en championnat, accumulant d’ailleurs 14 passes décisives toutes compétitions confondues. Mais il serait inapproprié de le résumer grâce à des maths. Il est bien plus qu’un footballeur, bien plus qu’un latéral gauche, il est un magicien. Un homme qui a quelque chose de plus que les autres, un don inné et une facilité déconcertante. Une joie qu’il nous transmet à merveille, un amour pour le football voyageant dans nos cœurs.

« Certains labourent la pelouse, Marcelo y plante des fleurs », disait poétiquement Jorge Valdano. Lors de la demi-finale retour de C1, Marcelo n’a pas seulement bien joué. Il a fait du terrain et de nos cœurs ses jardins secrets. Des plantations où fleurissent les plus belles fleurs, celles qui s’embellissent sous l’admiration devant ce spectacle. Parce que la réalité est que Marcelo joue pour planter dans nos âmes les fleurs de son souvenir. Le souvenir d’un homme qui ne faisait pas que de jouer au foot, mais qui le romançait.

Dans une époque où le football est totalement aseptisé par les statistiques, Marcelo vient comme un soulagement. Il rend le football magique, là où l’on veut le rationaliser. Bien entendu, le football appartient à tous. C’est d’ailleurs sa pluralité qui en fait son charme. En fait, un œil trouve de la beauté là où l’autre ne la perçoit pas. Il serait donc absurde de dicter les choix de chacun. Nous pouvons tout à fait apprécier une multitude de joueurs pour des raisons diamétralement opposées. Le football de Marcelo, lui, est fait pour ceux voulant rêver. Finalement, le foot est une dramaturgie à part entière, laissant place à l’émotion et invitant le spectateur à vibrer. Là où certains aimeraient corriger les défauts humains grâce à la technologie, nous, nous laissons l’homme, accompagné de ses erreurs et de son émotion, comme personnage principal.

En fait, Marcelo se bat contre la monotonie. Il joue contre la tristesse du banal. Ce qu’il veut, au-delà de gagner, c’est de faire voyager les cœurs. Rendre un match ennuyeux est sa plus grande défaite. C’est un football vibrant, naïf et si touchant. Marcelo n’est absolument pas un joueur rassurant car il n’est pas là pour cela. Marcelo Vieira laisse ça aux autres. Lui, il est là pour faire rêver.

Bien qu’il ait progressé défensivement, notamment dans l’intensité physique et l’anticipation, sa destinée est autre part. Lui, son réel amour, c’est sa balle. Eric Cantona disait d’ailleurs que « le ballon, c’est comme les femmes, il aime les caresses ». Dans les pieds de Marcelo, la balle est une femme trouvant le point culminant du bonheur. Elle n’a besoin plus de rien, tant elle est traitée avec délicatesse. Et chanceux que nous sommes, il suffit de les regarder pour que cette histoire d’amour s’immisce dans nos cœurs, retrouvant enfin la vie.

L’héritage de Roberto Carlos

 

Mais comment parler de Marcelo sans nous intéresser à son mentor ? Précurseur du rôle de « latéral moderne », Roberto Carlos prendra à Madrid une nouvelle dimension. Une époque le mettant dans le gratin mondial des latéraux, grâce à son explosivité, sa verticalité et surtout sa puissance. À la fin de son aventure madridista, la direction merengue cherchera son successeur. Le R.Madrid voulait un latéral offensif pour perpétrer l’héritage de R.Carlos. Et ce serait un euphémisme de dire qu’il l’a si bien trouvé en la personne de Marcelo.

Cependant, il y a quelques mois, le natif de Rio de Janeiro revenait sur son plus mauvais moment en tant que madridista. Venu à l’âge de 18 ans, il racontait : « Le club voulait me prêter pour que je gagne en expérience. J’ai dit au dirigeant que je ne partirai pas du Real. Cela a été le pire moment [..] mais cela a aussi été celui où je me suis montré le plus fort ». À cette époque-là, nous reprochions à Marcelo toute la naïveté de son football. Pourtant digne héritier de Roberto Carlos, Marcelo avait dans ses pattes Royston Drenthe, tout fraîchement arrivé dans la capitale. La comparaison a très vite pris fin, tant l’un fut vite oublié, et l’autre un latéral immensément talentueux.

Depuis, Marcelo est le vice-capitaine du club. Évoluant sous le maillot blanc depuis dix ans, il accumule plus de quatre cents matchs. Déjà. À l’âge de 29 ans, le numéro 12 merengue semble avoir trouvé la maturité. Le joueur qu’il est a progressé et son football a gagné en expérience. Son palmarès est à la hauteur de son talent, et est la consécration des années de galère. Et même s’il n’avait rien gagné, Marcelo resterait celui pouvant gagner nos cœurs à tout moment. Et quelle plus belle distinction que celle-ci ?

Insaisissable, Marcelo semble seul sur son trône. 2017 fut pour lui l’année de la consécration, celle où l’on toute le grand public s’est rendu compte qu’il était sur une autre planète. Loin de toute concurrence mais toujours proche des cœurs. Sans réel remplaçant à son poste – Fabio Coentrao ayant un emploi fictif et Nacho très polyvalent –, M12 a fait une saison pleine. Néanmoins, le club madrilène a eu énormément de chance que son vice-capitaine ne se soit jamais blessé. Pour remédier à ce problème, le Real Madrid compte recruter Theo Hernandez, 19 ans, pour soulager Marcelo. Le Français sera-t-il à sa hauteur ? Compliqué de le dire, notamment vu l’extraordinaire niveau du Brésilien. Peu importe finalement, puis il est encore bien trop tôt pour se projeter dans le futur. L’important est de se délecter du moment présent. D’apprécier par exemple ce jour où Marcelo a marqué ce but essentiel pour le titre contre le FC Valence, une semaine après le Clasico. Ce match face au Barça, où il aurait dû faire faute sur Sergi Roberto, erreur qu’il admettra quelques heures plus tard.

« La pluie a beaucoup tomber sur les cœurs desséchés, on voit rarement fleurir les rochers » écrivait le rappeur Kery James. Étonnamment, certains sont fiers d’avoir le cœur dur pour satisfaire leur ego. Pourtant, privés des nobles valeurs, les cœurs s’assèchent et périssent. C’est d’ailleurs pour cela qu’un sage s’est un jour étonné que l’ « on pleure sur la mort des corps mais que l’on ne trouve personne pour pleurer sur la mort des cœurs ». La mort des corps, si triste, en cache une autre tout autant navrante. Le plus affligeant, est quand ce qui est en nous s’éteint, alors que nous sommes toujours en vie.

Heureusement, Marcelo est là. En sortant des abîmes dans lesquelles il s’était plongé, le génial Brésilien a fait renaître nos cœurs. Quelle tristesse aurait été de se priver de toute la beauté de son jeu. Ce football, magique de par toute sa naïveté, non là pour jouer contre des adversaires, mais pour vivre une idylle avec sa balle. Cette saison, le Real Madrid est définitivement entré dans la légende. Grâce à un doublé qu’il n’avait plus connu depuis une éternité, le Real a fait une saison grandiose. Plus que cela, le club madridista a fait ce que personne n’a su faire depuis le nouveau format de la C1 : gagner la Ligue des Champions deux années de suite. Comme l’histoire est bien faite, c’est l’équipe qui a la plus belle histoire européenne qui réalise le plus grand exploit du Vieux Continent. Car « il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » comme l’expliquait Paul Eluard. Un rendez-vous avec la destinée en somme.

Ce 3 Juin 2017, le Real Madrid a ainsi tutoyé les étoiles. Le temps d’un instant, le peuple madridista n’est plus sur Terre mais jubile dans le ciel. Face à la Juventus, les joueurs madrilènes hausseront leur niveau de jeu pour livrer une seconde période sensationnelle. En toute fin de rencontre, Marcelo enrhumera Lemina avec une facilité déconcertante et servira sur un plateau Marco Asensio pour clôturer cette si belle soirée.

Madrid n’est plus la capitale de l’Espagne, elle est la représentation du football dans la galaxie. Se délectant des étoiles, c’est tout un peuple qui s’exalte d’un doux parfum qu’il est le seul à connaître. Marcelo, quant à lui, exulte et savoure. Il savoure une carrière formidable à la morale inimaginable. Tandis que ses coéquipiers ont quitté Terre, lui, a entrepris un voyage interstellaire dans les cœurs de ses frères. Ces cœurs blancs, qui s’étaient noircis, car privés de la lumière du bonheur pendant tellement d’années.

Une période désastreuse pour un club connu pour la beauté de sa gloire. Une époque que l’on aimerait oublier, mais si importante dans le vécu de cette génération de champions. Des cœurs que le football a rendus morts, mais que Marcelo, plus que les autres, a ramenés à la vie. Dans nos âmes, toujours la même vision : Marcelo progressant sur le terrain avec celle qu’il aime tant. Les souvenirs sont dans nos têtes mais vogueront dans nos âmes éternellement. Il est si heureux de jouer au football, lui avançant sur le pré, le sourire aux lèvres, avec sa dulcinée. C’est dans l’expression de son art qu’il atteint la plénitude. Un ballon dans ses pieds et Marcelo caresse la félicité. Cela tombe bien, nous aussi.

Credits photos: AFP, UEFA, Getty Images

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Pardon la vie, j'serai jamais qui j'voulais être